Tout sur les 45e assises

oct 10, 2017

Déclaration d’Antsirabe


Les assises de l’Union de la presse francophone ont réuni plus de 300 journalistes et dirigeants de médias, du 20 au 24 novembre 2016 à Antsirabe sur le thème de l’économie des médias.
Pour la première fois, la FIJ, l’UNESCO et RSF ont participé aux rencontres.
Les discussions ont mis en relief les difficultés économiques rencontrées par les médias et le fait que celles-ci ne peuvent se concevoir sans prendre en compte le contexte politique dans lequel ces médias et leurs journalistes évoluent. Or sans une presse libre, tout développement démocratique est compromis.
Malheureusement, il a été constaté, que trop souvent encore, les Etats s’affranchissent de leurs obligations constitutionnelles et légales de respect de la liberté d’information. Ces comportements ont des conséquences très concrètes sur la situation économique des médias et par là même sur la liberté de l’information et son indépendance.
Assassinats, raids contre des rédactions et destructions de matériel, passages à tabac, les atteintes arbitraires à la sécurité physique des journalistes et l’impunité qui s’ensuit participent d’un climat de crainte qui ont des conséquences graves sur la liberté d’expression et créent des comportements d’auto-censure.
De nombreux pays n’ont pas encore aboli les peines privatives de liberté pour les délits de presse, ou usent de lois sécuritaires, dans un contexte où la lutte anti-terroriste prend de plus en plus de place, pour emprisonner les journalistes pour des durées indéterminées.
Les lois sur la presse formulées souvent en des termes trop vagues, sujets à des interprétations politiques, et prévoyant des amendes disproportionnées maintiennent les médias dans une insécurité juridique et facilitent le harcèlement judiciaire des journalistes. Des lois fiscales inadaptées, la non application des exonérations pour les intrants journalistiques, des prix de licence dissuasifs, participent à maintenir les médias sous une dépendance financière qui affecte gravement le développement d’une presse plurielle et libre.
Sans une presse libre, aucun développement démocratique ne peut exister. Les participants aux assises appellent les Etats francophones à garantir le libre exercice du métier de journaliste et la liberté de l’information dans le respect de leurs obligations nationales et internationales.

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Liberté et responsabilité des journalistes et des médias : facteurs de développement et de discrédit

LES INTERVENTIONS LIMINAIRES DU PANEL

Ousmane Dambadji

La presse a plus de missions en Afrique qu’en Europe. Il lui faut sensibiliser, éduquer et accompagner le développement. Elle doit être actrice et porteuse de projets.
Mais il faut d’abord s’interroger sur qui est journaliste, qui ne l’est pas. Qu’est ce qui amène la presse en prison ? Il faut se dire la vérité, nous ne respectons pas l’éthique et la déontologie, la plupart sont des brebis galeuses en train de piétiner les règles et on met la presse sous la même coupe.
Moi personnellement, j’ai été emprisonné par le Chef de l’Etat de mon pays en 2014, présentement, je suis en procès avec lui. C’est un cas rare mais il a compris qu’il était dans l’erreur et il m’a tendu la main et m’a félicité pour mon travail.
C’est pour vous dire que de la même manière que l’on avance sur l’économie de la presse, il va falloir qu’on change le paradigme en matière de développement, qu’on change la définition de la presse européenne et de la presse africaine. En Europe on paye pour l’information mais en Afrique, est-ce que l’information est payante ? En Europe, vous avez besoin de l’information, elle est excellente mais en Afrique, on a tellement de facteurs et de pesanteurs.
Il faut que la presse soit actrice, accompagne les projets et programmes de développement. Nous avons un agenda 2015 qu’il va falloir
Aujourd’hui, les assises de Madagascar, si on avait placé sous le signe de l’agenda post 2015, tous les systèmes des Nations Unies seraient avec nous au Niger et chefs d’Etats et de gouvernements vont beaucoup plus adhérer parce qu’ils voient les contributions de la presse au service du développement pour leur permettre d’avancer.
Quant on voit un journaliste, on voit un opposant qui ne dit que ce qui n’est pas bien alors qu’on doit dire aussi ce qui va.

Jamal Eddine Naji

Rappelle être l’auteur il y a quelques années d’un manuel sur l’éthique, dans l’obligation de le revoir aujourd’hui à l’ère numérique.
Intervention avec sept mots :
. origine : le big-bang, qu’est-ce qui primait le plus, la loi et la règle de droit ou la valeur éthique ? Avant cette ère numérique, c’est la règle droit qui prévalait, avec la violence maintenant qui irrigue la règle de droit, l’éthique ou l’inverse.
Plusieurs expériences nationales : on commence par faire une charte et après on réfléchit à une charte éthique. Ce qui a été le cas inverse dans d’autres pays. Or, à l’ère numérique, on se rend compte, avec les dégâts sur le plan éthique que la valeur éthique c’est là où réside la substance de la liberté et e la responsabilisation.
. survie : on connaît tous l’histoire du trans-humanisme, de l’homme et de la machine, l’homme augmenté. Des questions existentielles commencent à se poser : est-ce que l’homme va perdre son intégrité, ce qui faisait qu’il était une espèce à part par rapport à la machine.
. conversation : si quelque chose est spécifique à l’espèce humaine, la question du dialogue se pose d’une façon nouvelle à l’ère numérique. On n’est plus dans le village planétaire, on est pratiquement dans une HLM où chacun est enfermé dans son appartement. Essayez d’imaginer que vous êtes sur votre cellphone, avec des barreaux et que vous communiquez, dialoguez à travers ces barreaux, peut-être des stéréotypes, des barrières culturelles, de la falsification, des photoshops, de la contrevérité. Conversation et dialogue sont essentiels, par là passe la diversité, les normes de communauté, que peut passer un contrat moral autour d’une règle ou d’une valeur éthique. Sans conversations entre humains, impossible d’avoir cela.
. sauvegarde : essentiel de vivre ensemble, en communauté d’espèce humaine, c’est à dire l’intérêt public. Qu’est-ce qui relève du domaine public et n’en relève pas, quelle garantie avons nous pour sauvegarder notre mémoire collective face aux GAFA qui pourront raconter dans vingt ou quarante ans une autre histoire de l’humanité, quitte à ce qu’elle soit falsifiée. Nous avons ce grand risque du big data. Tout ce qui est manipulation des contenus, depuis le marketing des contenus, les pirateries. Est-ce que le récit de vie de l’humanité va rester le même avec les grands de l’ère numérique qui vont peut-être siphonner toutes les mémoires collectives et raconter l’histoire d’une autre manière ?
. autre : comment faire en sorte de connaître l’autre, mais il ne suffit pas de le connaître, il faut avoir la passion de le connaître, parce qu’avec cette passion on peut accéder au monde des autres, à la mémoire des autres et se mettre d’accord sur une étique commune, non seulement en tant que journaliste mais aussi en tant que citoyen. L’autre est de plus en plus proche : plus de 7 milliards de mobiles, près de 3, 5 milliards d’internautes, dont plus de 2 milliards dans les pays en développement ou en processus démocratique, 50% des ménages connectés dans le monde, la large bande avec une pénétration supérieure à 50%, soit 12 fois plus qu’il y a dix ans.
. credo : est-ce que l’article 19 de la Déclaration des Droits de l’Homme fonctionne toujours avec le numérique ?
N’y a-t-il pas lieu de réfléchir à un droit de la communication qui irait au delà d’un droit à l’information et qui pourrait permettre la codification du point de vue éthique par rapport à la prise de parole par l’internaute, par le simple citoyen.
. praxis : si vous discutez avec une enfant de 14 ou 15 ans, qui est de l’ère numérique, répondre à un mail au delà de 48 heures est mal vu, vous êtes éjecté du groupe. Il y a un espoir de l’éthique qui passera par des communautés et aussi par des choses qui s’installent par la praxis elle-même, ce qui va donner l’humanisme numérique ; c’est pouvoir introduire par la praxis ce dispositif éthique dans la conversation, le journalisme, pour atteindre un objectif ultime qui peut paraître une utopie, c’est parvenir à un équilibre entre le virtuel, ce que nous vivons virtuellement avec ces technologies, y compris le journalisme et ce que nous vivons d’un point de vue physique. Comment faire en sorte que l’intégrité de l’humanité soit au niveau de l’individu, de la collectivité, dans une cohérence entre ce qu‘il vit dans le virtuel et ce qu’il vit dans la réalité physique ou le temporel.

Jaco du Toit

D’abord un point de contexte quand on parle de responsabilité et de liberté des journalistes et des médias. Par rapport à ce qui concerne la liberté, il y a un ralentissement de la promotion de la liberté d’expression et de la liberté de la presse en Afrique. Il y a des réformes juridiques qui se font mais pas toujours dans les normes internationales. Elles prévoient une dépénalisation de la diffamation, 19% des pays en Afrique ont pris ces dispositions depuis 2014 et des pays ont adopté des lois sur la liberté de l’information mais pas toujours dans les standards internationaux.
Les médias se sont diversifiés, grâce aux journalistes mais aussi aux citoyens qui s’engagent pour exiger le droit à l’information. Les nouveaux médias jouent bien sur un rôle important même si l’accès à internet reste limité. Il y a en général un manque de protection des sources d’information et la disponibilité du journalisme d’investigation que l’on espère développer davantage.
L’indépendance des médias africains est assez stable depuis 2007, mais les organes d’autorégulation des médias sont faibles, souvent sous-financés et inefficaces. La faiblesse de la situation économique des médias aggrave les problèmes d’autocensure, de corruption des journalistes et de non-professionnalisme. Et l’indépendance éditoriale dans les médias publics reste un problème. Plusieurs cas où l’n a vu des fermetures, des procès criminels…
Ce contexte est décrit dans un livre publié par l’Unesco sur les tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développement des médias (consultable sur le site).
Pour l’Unesco, cinq facteurs de développement :
. un système de régulation, mais c’est non seulement l’existence de ces textes mais leur application qui ne se fait pas dans les normes et les règles,
. reconnaître l’environnement économique dans lequel les médias évoluent, avec les questions de concurrence, de transparence de la propriété,
. comment les médias sont une plate-forme pour un débat démocratique pour qu’ils soient crédibles auprès de leurs lecteurs et auditeurs, par rapport également aux minorités, aux genres, à l’aspect urbain ou non, comment les médias permettent aux citoyens de s’identifier avec le contenu qui leur est proposé,
. la formation professionnelle est essentielle pour avoir des journalistes capables de donner l’information et la connaissance dont on a besoin pour le développement de notre vie,
. les infrastructures doivent être suffisantes pour que les médias restent indépendants et pluralistes.
Quant aux facteurs de discrédit, préfère parler de facteurs de crédit, au nombre de 4 :
. la vie privée respectée par les médias
. la liberté d’expression est un droit fondamental qui doit être respecté, surtout dans l’ère numérique,
. l’accès à l’information et au savoir est un besoin, il y a beaucoup d’appel pour que la communication et l’accès à internet soit un droit mais il ne s’agit pas seulement de l’aspect relatif à la technologie mais aussi ai-je le droit de recevoir l’information dans ma langue maternelle, d’avoir une diversification des contenus qui est disponible dans les formats …
. l’éthique : comment l’appliquer ?

Cléa Kahn Sriber

Les difficultés économiques de la presse en Afrique ont été évoquées hier : concentration du capital, difficultés d’accès à la publicité et à la fidélisation du lectorat.
Je m’attacherai au contexte politique, voir comment dans ces pays dits du sud, en ce qui concerne l’Afrique francophone, caractérisé pas un déficit démocratique, en quoi il affecte la liberté de la presse, les conditions économiques et pose non seulement la question de la responsabilité des médias mais aussi des gouvernements pour garantir une presse libre.
Les contextes politiques diffèrent d’un pays à l’autre, mais il y a des racines communes qui créent des similitudes. Cette ingérence politique créé des conditions de vulnérabilité économique. On observe dans de nombreux pays des pouvoirs qui se veulent très forts, à mobilité réduite, qui souhaitent rester en place, qui tolèrent mal la critique, les revendications démocratiques et de respect de la constitution, véhiculés par les journalistes. Par exemple, en RDC où les discussions sur le départ du Président ont eu des conséquences très concrètes sur la liberté des médias. Plusieurs médias affiliés à l’opposition ont été fermés du jour au lendemain, pour des durées indéterminées, avec le manque à gagner que l’on peut imaginer quand on cesse de publier ou d’émettre, car beaucoup de ces médias étaient des télévisions.
S’ajoute, sur le continent, un contexte d’attachement aux conditions de sécurité ; la lutte contre le terrorisme est bien réelle mais elle est exacerbée dans le discours des dirigeants pour jeter un filet sur la liberté d’expression. Exemple le plus frappant au Cameroun où quatre journalistes sont jugés en vertu d’une loi anti-terroriste devant un tribunal militaire. Les dossiers trainent depuis un an. Ils sont vides. Mais l’un des journalistes est toujours détenu, les autres sont tenus de se présenter régulièrement devant la police, avec les conséquences économiques que cela induit, frais d’avocats, impossibilité pour les journalistes, assignés dans une ville, de se déplacer. Sans compter le média qui devient sulfureux aux yeux des annonceurs.
On a parlé du contexte législatif sur la création des médias et leur fonctionnement. On observe souvent des lois sur la presse formulées dans des termes très vagues, on parle de « fausses informations ». Ainsi rédigées, elles permettent aux dirigeants une liberté d’interprétation à leur convenance. Ces délits sont passibles d’amendes exorbitantes, ce qui est une façon très subtile de museler la liberté de la presse en lui faisant payer un coût économique disproportionné. Un média qui met la clé sous la porte faute de pouvoir payer ses amendes c’est moins spectaculaire d’un journaliste emprisonné et plus discret. Mais bien plus efficace en terme de contrôle de la liberté de la presse.
La pression de l’exécutif peut aussi s’exercer directement sur les ressources : absence d’accès à la publicité, système fiscal abusif, prix des licences pour l’audiovisuel. Avec un engouement curieux pour le redressement fiscal qui arrive en général avant la période électorale et vise plus spécialement les médias proches de l’opposition.
Parfois, la pression est plus grossière en direction des bailleurs de fonds internationaux, qui sont souvent la soupape pour financer les médias locaux. En RDC, le département du Plan avait fait le tour des ONG internationales pour leur demander quels médias elles soutenaient et les engager à cesser leur soutien auprès des médias jugés trop indépendants ou critiques si elles voulaient continuer à travailler dans la province. Donc un tarissement à la source des quelques financements qui existent.
Une autre pression plus outrancière, ce sont les actes de violence physique commis en toute impunité contre les médias. Hier un collègue camerounais disait : on a cassé mon journal pour la deuxième fois, comme si c’était quelque chose qui arrivait régulièrement. La mise à sac d’une rédaction, ce n’est pas quelque chose dont un média se relève facilement économiquement. Les arrestations de masse de toute une rédaction comme c’est arrivé la semaine dernière au Gabon fait que le journal ne paraît pas. Toutes ces pressions de l’exécutif et des pouvoirs en place à travers des textes législatifs, l’usage de la force. On dit qu’au Niger les lois sont bonnes mais cela n’a pas empêché qu’au moment des manifestations de 2015, la police se soit interposée pour bloquer l’accès aux télévisions, bloquer l’information. La façon dont les lois sont appliquées pose question.
Comment développer cette activité économique alors que l’Etat est loin de garantir la sécurité et la liberté du secteur peut devenir l’acteur d’insécurité, que la presse n’es pas un secteur économique comme un autre, un secteur éminemment politique dans ce sens où il touche à la vie des citoyens, il conteste, il questionne les organes de gouvernement, c’est son rôle.
Cette responsabilité est partagée. On a parlé des abus parfois commis par la presse en ne respectant pas les règles de déontologie, c’est vrai mais pour avancer, pour permettre que le climat pour la presse soit plus favorable, ne pas trop attendre des dirigeants mais un vrai effort à faire de la part des journalistes et des communautés de journalistes.
Deux ou trois suggestions : la mise en réseau, développer les solidarités au sein des communautés de journalistes, qui sont souvent les premières à se tirer dans les pattes. Cela se fait en investissant les structures journalistiques, les associations, les unions, en se saisissant des chartes de déontologie qui existent à foison, en investissant les organes d’autorégulation pour en faire un contre-pouvoir et une force de proposition face à des autorités qui ont tendance à voir les journalistes comme des francs-tireurs. Donc s’organiser, avoir un discours cohérent, être acteur de son propre développement, dénoncer les abus, partager les bonnes pratiques. Par exemple, l’Union africaine a fait une loi-type d’accès à l’information, dont les journalistes peuvent se saisir.
Remobiliser la population est aussi important pour la défense du journalisme, retrouver un journalisme qui corresponde aux aspirations de la population, développer les synergies pour traiter les sujets sensibles. Au Pakistan, et ailleurs, si un sujet se révèle important et risque d’être difficile à traiter, il est publié simultanément dans plusieurs journaux. Cette solution d’honnêteté intellectuelle et d’éthique a permis par exemple au Burundi lors de l’arrestation du directeur de la RPA de faire descendre des milliers de personnes dans la rue pour le défendre. Car la radio est dans ce cas l’émanation de la population.

QUESTIONS /REPONSES ET COMMENTAIRES

Jérôme Bouvier

Revient sur une question posée par le Président du groupe Enquête de Haïti :

De mauvaises tentations au Sénat français pour remettre en cause via une loi – qui n’était pas une loi sur la presse mais sur la citoyenneté – ont été bloquées parce que l’Assemblée nationale a le dernier mot et le gouvernement a toujours fait valoir son opposition à ces propositions émanant du Sénat.
Une loi a été votée, validée la semaine dernière par le Conseil Constitutionnel, dite loi Bloche, visant à conforter l’indépendance des médias face aux pouvoirs publicitaire et aux annonceurs. Cette loi doit être popularisée, elle oblige toutes les rédactions, de l’audiovisuel notamment, à se doter d’une charte et d’un comité éthique, d’ici le 1 er juillet 2017. Il y a un calendrier, des modalités d’application ; la charte doit être élaborée en commun par le directeur de la publication et la rédaction, ce qui n’était pas le cas avant lorsque jouaient seulement le volontariat et le rapport de forces. Le comité d’éthique est composé de personnalités indépendantes qui ne peuvent être soupçonnées de conflit d’intérêt entre les annonceurs et le propriétaire des médias et a pour fonction de veiller à la bonne application de la charte. Cela ne règlera pas toutes les atteintes à la liberté d’expression mais c’est un formidable levier pour les rédactions afin de faire avancer le débat sur l’éthique et la déontologie.

Jamal Eddine Naji

Il y a une tendance à s’approprier l’éthique en tant que législateur et à la mettre dans la loi. C’est le risque partout dans le monde, en Afrique du sud, en Inde, en Egypte où l’on a mis l’éthique dans la loi. Or, si on ne fait pas attention, le premier droit éthique, professionnel et syndical c’est de pouvoir disposer de sa propre éthique et d’en être le seul comptable vis à vis des juges. La vigilance s’impose d’autant plus que les nouvelles technologies sont là. Il y a trois niveaux pour consolider sa force éthique : sur le plan personnel, dans le média où je travaille et dans les réseaux ou communautés.
L’essentiel est de pouvoir compter sur l’éthique et le respect de celle-ci pour avoir la force d’être un interlocuteur face aux gouvernements, aux Etats qui veulent se l’approprier et la mettre dans la loi.

Ousmane Dambadji

Au Niger, la liberté de la presse existe, quelques journalistes sont jetés en prison mais nous exagérons. Dans mon cas, j’avais rappelé au chef de l’Etat l’une de ses promesses. Il y avait confusion ; trois jours plus tard, il s’est rendu compte qu’il s’était trompé, on m’a libéré, il m’a tendu la main à la présidence, m’a félicité, « vous faites un très bon boulot, c’es vrai vous nous critiquez mais vous nous accompagnez »

Nous sommes arrivés à mettre en place des projets ; en septembre, nous avons reçu un financement important de l’UNESCO pour former des journalistes sur les questions du genre et la promotion de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Quand le média se positionne comme opposant, c’est normal qu’il ait des problèmes avec le gouvernement, surtout en Afrique. Notre travail consiste ç dire ce qui va et ce qui ne va pas. Malheureusement, en Afrique on a plus tendance à insister sur ce qui ne va pas.

J’interpelle les médias, nous avons en Afrique un agenda important, il faut que nous accompagnions la mise en œuvre, que nous suivions les engagements dans le respect de l’éthique et de la déontologie.

Clea Kahn Sriber

Choquée de vous avoir entendu dire qu’il était normal que vous ayez été jeté en prison alors que la loi de votre pays l’exclut pour les délits de presse. Les sanctions doivent être proportionnelles. La règle internationale c’est la dépénalisation des délots de presse, même si les amendes peuvent parfois être plus difficiles à gérer pour les médias.

Jamal Eddine Naji

Sur les velléités de l’Etat à aller chercher l’éthique et à l’inscrire dans la loi pour pouvoir sévir conte les journalistes quand ceux-ci ne défendent pas ce territoire qui leur est propre :
en 1953, les Nations Unies ont essayé de bâtir une charte éthique pour les journalistes à travers le monde, il a fallu trois mois de débats pour se rendre compte que cela ne peut être quelque chose d’intergouvernemental,
Jean Daniel, icône du journalisme, a reconnu avec contrition que dans le numérique, on ne regarde pas tellement l’éthique à l’occasion d’une information pas très précise, mais qu’on a beaucoup plus de vigilance sur la presse papier.

Pierre Ganz

Sur la notion de mission du journalisme. A propos de 1953, la mission du journaliste à l’époque était pur les uns d’aider à la construction du socialisme et du bonheur des peuples, pour les autres, c’était d’empêcher la conquête du péril rouge sur le monde.
La mission du journaliste est d’abord d’informer le citoyen et il ne doit de comptes qu’au citoyen. La mission du journaliste n’est pas d’aider à la lutte contre le terrorisme. Cela peut y contribuer mais ce n’est pas d’abord cela. Et c’est parce qu’on dit qu’il faut aider à lutter contre le terrorisme qu’on fait des lois scélérates qui empêchent petit à petit le journaliste de s’exprimer. Et je ne crois pas que la mission du journaliste soit d’accompagner la politique de développement d’un gouvernement. Elle est de la présenter, la critiquer, la raconter, dire qu’elle est bien ou mal.

Ousmane Dambadji

Quand j’entends parler de déontologie et d’éthique, j’ai l’impression qu’on parle d’un pays que je ne connais pas. Dans mon pays, au Cameroun, il y a une charte déontologique, des notions d’éthique que personne ne respecte, les journalistes veulent se mettre dans la situation où ils peuvent tout contre tout le monde sans de comptes à rendre à quiconque. D’accord, il faut lutter pour les droits des journalistes mais qui protège le droit des autres parce que les enquêtes des journalistes impactent la vie des familles, la marche du pays. On ne peut pas dire aux journalistes faites ce que vous voulez et soyez responsables. Ils sont responsables quand cela les arrange.

Eugénie Rokhya Aw

Dans l’attente d’un regard croisé nord-sud parce qu’il y a des tentatives de restriction des libertés autant au sud qu’au nord.
Dans l’attente d’une réflexion sur les questions de sécurité.

Ousmane Dambadji

On n’est plus dans le temps colonial. L’Afrique doit prendre ses responsabilités. Le journalisme tel qu’il a été défini pendant des années est dans l’erreur. Nous avons le devoir de participer en tant qu’acteur du développement économique, on ne peut tendre éternellement la main à l’Europe pour demander de l’aide.
En Europe, les médias n’ont pas à faire le travail d’éducation des femmes, des enfants. On va changer le paradigme de la définition du journaliste pour que nous puissions en Afrique continuer à aider nos Etats pour sortir la population de la pauvreté. Nous faisons du service public.

Clea Kahn Sriber

Je ne conteste pas que se posent des questions de déontologie. Bien sur, les journalistes ne sont pas au dessus du droit. Mais quel est ce droit, comment traite-t-on la diffamation au Cameroun par exemple. Il y a dans les chartes internationales des textes qui prévoient que la liberté d’expression et d’information est garantie sous réserve de préserver la vie privée, l’image, de ne pas appeler à la haine, de ne pas insulter ni injurier. Si ces faits sont avérés, il faut bien sur avoir recours aux tribunaux. Au Cameroun, quatre journalistes, dont un en prison, sont sous le coup de la loi antiterroriste alors qu’aucune preuve à charge ne figure dans le dossier. C’est du harcèlement judiciaire pour un autre but que faire respecter la déontologie ou la façon dont les gens ont été lésés. En étant un homme politique, on s’expose au regard des autres, on a renoncé à une partie de sa vie privée, on doit donc tolérer une certaine critique. Que les lois soient utilisées mais proportionnées a ce qui a été commis par les journalistes et qu’on ne tombe pas dans des logiques de harcèlement judiciaire.

Regards croisés : une crise terrible de la liberté de la presse dans les pays du nord, avec en France une concentration es médias par quelques grands groupes qui vivent des commandes de l’Etat. Quelle liberté pour critiquer ce qui se passe ?

Loi sur le terrorisme : au moment de l’état d’urgence, une proposition de loi prévoyait que tout journaliste en contact avec une organisation terroriste soit considéré comme un adjuvant du mouvement sur lequel il enquête. RSF et d’autres ont plaidé auprès des pouvoirs publics pour que ce genre de criminalisation ne passe pas et pour demander qu’une certaine proportionnalité soit respectée dans le contrôle financier des médias, notamment dans le cadre de la loi Bloche, en exigeant par exemple qu’un groupe dépendant de commandes de l’Etat ne puisse être actionnaire à plus de 50%.

Jamal Eddine Naji

La mission du journaliste (cf. Pierre Ganz) d’accord mais dans l’idée de raconter le monde au citoyen et faire en sorte que le citoyen raconte sa propre histoire.
Terrorisme : dans certains contextes, on a connu des journalistes engagés pour des causes. C’est le débat entre le journalisme anglo-saxon et le nôtre, où il y a toujours un début d’engagement pour une cause donnée.
L’éthique a été inventée par les journalistes, la charte française date de 1918, les chartes scandinaves depuis plus longtemps. Il y a aussi des mécanismes d’autorégulation, c’est à dire les pairs. Il n’y a pas pire pour un journaliste, comme pour d’autres professions, que d’être renié par ses confrères. Plus que la loi ou la prison, c’est la grande sanction. Mais ne pas se leurrer, l’éthique ne peut exister que dans un état de droit. Dans un pays où les lois sont injustes ou pas appliquées, je ne peux pas m’impliquer dans une éthique. Donc dans un combat premier il faut pouvoir faire en sorte qu’il y ait des lois justes par rapport à la liberté d’expression, à la loi d’accès à l’information pour le citoyen afin de pouvoir accepter une culture d’autorégulation
Le fait de vivre dans un pays où les juges sont corrompus, où la loi est mal fichue ou pas appliquée, s’il n’y pas un environnement d’état de droit réel, il ne peut y avoir respect de l’éthique. On ne peut pas demander au journaliste d’être prophète tout seul au milieu de mécréants.

Jaco du Toit

Sur la définition du métier de journaliste, c’est certes son rôle d’informer mais il faut prendre en compte l’environnement qui a changé, avec l’abondance d’informations d’autres sources. Comment le journaliste se définit face à cela ?

Regards croisés : pas de différences entre nord et sud mais un seul instrument de mesure : le droit fondamental.

Meriem Oudghiri

Sur le rôle du journaliste accompagnateur, nous ne vivons pas tous la même réalité. Nous avons dans mon pays un devoir moral d’accompagner des petits opérateurs qui n’ont pas forcément accès à l’information.

Jérôme Bouvier

L’éducation aux médias est un enjeu majeur. En France, nous avons eu un sursaut quand on s’est rendu compte à quel point, pour une bonne partie des citoyens, jeunes ou moins jeunes, il n’y avait pas cette capacité à trier l’information et à vérifier que les sources auxquelles on avait accès étaient les bonnes. Avec les théories complotistes qui font des ravages dans les têtes de toutes les démocraties. C’est le rôle des journalistes d’expliquer ce qu’est leur métier, le faire comprendre, d’avoir cette pédagogie auprès de leur public, car ce n’est pas naturel de s’informer, d’apprendre à s’informer. Quand un enfant reçoit sur son smartphone des millions d’informations et d’images, il faut lui faire comprendre comment cette information a été fabriquée, comment cette image, qui aura pu être photoshopée, lui est parvenue, quelle est sa traçabilité. Un enjeu au cœur de nos métiers de demain si l’on veut regagner la confiance du public. Un combat pas seulement des journalistes et des éditeurs mais de tous les démocrates.

Mariya Traoré

En Mauritanie, nous avons la dépénalisation des délits de presse et un code de déontologie mais cela n’empêche pas que les journalistes soient confrontés à des problèmes. Par exemple, des confrères qui ont fait un travail d’investigation sur la gestion de la Société minière mauritanienne ont été inculpés pour diffamation.


Ousmane Dambadji

En 2008, toute la presse nationale était alignée derrière le gouvernement pour lutter contre Areva. Nous sommes le troisième producteur mondial d’uranium, une ressource qu’Areva a exploitée pendant cinquante ans sans que le Niger en bénéficie. La presse était là et ne disait rien. Ensuite la presse a joué un rôle important en forçant le gouvernement à réviser les accords, des dizaines de milliards ont été versés au pays pour financer son développement. On est là pour trouver des solutions pour sortir des crises.

David Solon

Terra Eco, magazine français, a été lancé il y a douze ans, avec l’idée d’en faire un journal indépendant, en appliquant la convention collective, en se dotant d’une charte de déontologie et en excluant certains annonceurs comme Total ou Areva. Mais Terra Eco a fermé ses portes en 2016. J’ai alors compris la vraie définition du mot indépendance : c’est la réussite économique de l’entreprise et l’existence d’un lien entre le diffuseur de l’information et son lecteur. Lecteur qu’on oublie un peu dans nos débats mais il est le premier destinataire de notre métier. Quel prix doit on fixer à l’information que l’on publie, elle n’est pas gratuite. En Europe, en France, on prend l’information sur internet sans la payer. L’indépendance des médias est liée à leur sécurité économique. En France, la plupart des médias sont détenus par des marchands d’armes, de téléphone ou de voitures électriques. Il y a heureusement quelques médias, Médiapart et d’autres qui ont fait du lecteur et de l’information la première clé de leur réussite. Il y a une voie étroite parce que la presse en France souffre énormément mais il faut croire en cette indépendance. Evidemment avec la déontologie.

Mahamane Hamèye Cisse

Sur l’éducation aux médias : au Mali, le président sortant de la section de l’UPF préside un institut pour la démocratie et l’éducation aux médias. Dans cet océan de sources d’information et de communication, aujourd’hui, il est important qu’enfants et adolescents apprennent à sélectionner, trier les bonnes et les mauvaises nouvelles, ce qu’est un journal, un blog.

Sur la mission du journaliste : ce n’est pas lutter contre le terrorisme, ce n’est pas d’accompagner le développement. Dans le cahier des charges des radios et télévisions de certains pays, il est écrit qu’il faut aider à l’éducation, à la culture de la paix. Il faut éduquer les enfants à la non-violence. Dans la lutte contre le terrorisme, les journalistes ont leur part mais les pouvoirs publics et les citoyens la leur.

Fortunat Shimba Muteba

Pas une question mais une contribution. Sur les fermetures de médias en RDC, à boire et à manger. Il est inconcevable qu’un homme politique, un député faiseur de loi, puisse créer une chaîne de télévision ou un journal en marge de la loi. Les médias créés par des hommes politiques ne font pas un travail d’information mais de propagande. Ils sont utilisés dans la guerre des politiciens. Quand le média a des problèmes avec un autre, l’organe de régulation prend le dossier et constate qu’il est vide, sans documents, et réagit en disant : « mettez vous en règle mais entretemps, vous ne pouvez pas émettre ».
Nous avons encore un problème avec des gens qui achètent le journal à Kinshasa, font des photocopies, les envoient à Lubumbashi et les vendent à vil prix. C’est une concurrence déloyale contre laquelle l’Etat est en train de lutter.
Un organe de presse c’est une entreprise qui doit payer ses taxes à l’Etat, avoir du personnel alors que dans certains journaux des journalistes travaillent sans contrat. Si l’Etat tombe sur un cas comme cela, il n’est pas fermé pour des raisons politiques.

Ancien RTS Sénégal

Un phénomène de mode se développe en période électorale : la fermeture des médias sociaux, d’internet et des relais des radios internationales. Que faire au niveau des instances internationales ?

Jamal Eddine Naji

Sur l’éducation aux médias : ça ne suppose pas la conférence d’un prof ou quelques spots pour expliquer voilà comment on fait. C’est montrer des intégristes à Bagdad à travers leurs propres supports, leur propre culture numérique. Mais réunir des parents d’élèves, leur dire de faire attention ça ne marchera pas parce que l’enfant est dans le virtuel le maître à bord. Il faut être attentif avec lui, réfléchir dans la langue qu’il utilise, comme l’usage de l’internet.

Jaco du Toit

L’éducation des citoyens aux médias n’est pas de la seule responsabilité des médias mais aussi du système éducatif.
Fermeture des canaux pendant les périodes électorales : il y a des organisations internationales, un rapporteur sur la liberté d’expression auprès duquel citoyens et instances peuvent intervenir.
Les médias ça n’est pas seulement l’affaire des journalistes, des patrons de presse et des hommes politiques mais aussi des juges, de la police, du système éducatif.

Clea Kahn Sriber

Au Congo, ces fermetures interviennent alors que se réduit l’espace démocratique. RFI est brouillé, des journalistes sont arrêtés. Le filet est jeté de façon très large et ne relève pas que de questions administratives. Au Gabon, internet a été coupé, au Tchad, la 3G n’a pas été rétablie. Cela vise directement la liberté d’expression des médias. Que faire ? RSF a mis en place plusieurs systèmes de contournement, comme republier via d’autres serveurs des sites interdits dans leur pays afin qu’ils soient accessibles, sur des serveurs si gros qu’ils ne peuvent être bloqués. Nous aidons également les journalistes à renforcer leur sécurité informatique et à trouver des solutions pour se prémunir contre le brouillage.

FM Liberté Tchad

Comment avoir accès aux sources d’informations vérifiées avant de les mettre à la disposition du public ? Au Tchad, les pouvoirs publics préfèrent favoriser la presse internationale au détriment des journalistes locaux. La radio publique ne fait que parler du président, de sa femme, du gouvernement, pas de sujets d’intérêt public. La presse privée est taxée de presse d’opposition.

Taïeb Zahar

Si le gouvernement respecte la constitution, si on est dans un état de droit, ce débat ne devrait pas avoir lieu. Dans un régime sans état de droit ni de respect de la constitution, comment imaginer que le journaliste, citoyen comme les autres, ne s’implique pas, malgré lui, dans le jeu politique.
D’accord pour que le journaliste accompagne mais attention à la proximité. A être trop proche du pouvoir, on perd son autonomie alors que le journaliste est utile pour combattre la corruption, le problème de l’Afrique, continent qui reçoit le plus d’aides. Nous avons la responsabilité morale d’aider et accompagner mais trop de proximité peut nuire à l’indépendance des journalistes dans leur vrai combat.

Jamal Eddine Naji

Si la loi est bien appliquée, le débat sur l’éthique n’a pas lieu. Mais attention, une journaliste du New York Times a révélé un pan entier d’activité de la CIA, donc de la sécurité nationale. Bush est allé jusqu’à la Cour Suprême. Son directeur lui a dit de donner ses sources. Elle a refusé parce que c’est son droit éthique. Elle a fait deux ans de prison mais elle a sauvé le métier, elle a servi l’éthique. Elle est respectée. Il ne faut pas se mentir, nous journalistes professionnels, avec l’éthique on peut gagner contre la loi, il suffit d’avoir un bon avocat pour pouvoir invoquer l’éthique face à la loi. Que de procès ont été gagnés parce que l’éthique a été invoquée de façon très intelligente.
Le premier combat du journaliste est de combattre pour un état de droit réel. Dans le cadre d’une commission de réforme de la justice, nous avons réussi à arracher la création d’une chambre spécialisée. Ce fut un grand combat, il faut maintenant
Que les juges soient formés sur le code de la presse, que les étudiants de l’institut d’études juridiques l’apprennent et face le benchmark des procès de presse. L’état de droit oui mais l’éthique est une grande arme aux mains des journalistes.

Angèle

A Kinshasa, nous comptons plus de 60 chaînes de télévision, 200 radios, plus de 50 journaux papier. Des chaînes de télé sont créées par des opérateurs économiques, par des hommes politiques. Celui qui achète un émetteur engage qui il veut, des journalistes professionnels mais aussi des membres de sa propre famille, qui racontent n’importe quoi au mépris de la déontologie et de l’éthique. Et s’ils sont arrêtés pour diffamation, on invoque la liberté des médias. Mais est-ce que cette liberté les concerne ?
En 2011, pendant les derniers jours de la campagne électorale, je devais couvrir le retour des candidats. En allant en voiture du centre ville vers l’aéroport, j’ai rencontré des groupes de jeunes, d’un coté ceux du pouvoir, de l’autre ceux de l’opposition. Ceux-ci m’ont reconnue : « voilà la journaliste du pouvoir, il faut s’attaquer à elle ». Ma voiture a été caillassée, j’ai failli être violée mais je suis sortie indemne. Je n’ai eu ni appui ni soutien des autres médias parce que j’appartenais au média public ; dans notre cas, la liberté ne nous concernerait pas, notre responsabilité ne serait plus notre apanage.

Ousmane Dambadji

Les médias publics ont toujours tendance à être instrumentalisés, à être considérés comme à coté du pouvoir, alors qu’on suppose que les médias privés disent une certaine vérité.

Philippe Leruth

Nous avons longtemps défendu le principe que la déontologie était l’affaire des journalistes et donc, en Belgique, comme cela a été le cas dans d’autres pays, nous avons créé une instance. Mais on s’est rendu compte au fil du temps que c’était étriqué et l’avons ouverte aux médias en intégrant des rédacteurs en chef et des représentants de la société civile, de façon à traiter les cas de journalistes mais aussi d’animateurs.

Ben Letaief

Sur l’intervention de Jamal Eddine Naji : ce que vous dites sur droit et déontologie est particulièrement grave d’un point de vue juridique. Si on est obligé d’opposer la déontologie à la loi, c’est que la loi est mauvaise et il faut la changer.
Sur les médias publics : nous souffrons de cette image de médias du pouvoir. D’où notre combat en Tunisie pour distinguer clairement entre médias gouvernementaux et médias de service public, qui sont d’abord au service du citoyen et non des gouvernants. Parce qu’il y a une culture très ancrée dans notre pays, cela m’a couté très cher pendant ans en pressions, interventions en tous genres. Si vous tenez à l’indépendance, à la neutralité, à l’objectivité, au pluralisme réel, vous souffrez. Tout l’enjeu, dans nos pays, est de distinguer entre médias de service public au service du citoyen et médias de propagande gouvernementale, distinguer entre information et communication gouvernementale. Finalement, j’ai été écarté en raison de ma trop grande rigidité vis à vis des politiques. Enfin, il convient de séparer les responsabilités administrative et rédactionnelle.

RETOUR VERS LE PANEL

Clea Kahn Sriber

L’éducation aux médias devrait aussi concerner les politiques qui voient la presse seulement comme un outil de propagande de leur action. Une meilleure gouvernance des états empêcherait les réticences constatées vis à vis d’une presse d’investigation. De ce point de vue, l’Afrique francophone marque un retard sur l’Afrique anglophone.

Ousmane Dambadji

Pour répondre à la question de notre consoeur du Tchad – comment faire pour accéder à l’information ? – s’intéresser au développement permet d’obtenir des indicateurs sur l’éducation, la santé, l’accès à l’eau, que l’on vient même chercher auprès des journalistes parce que les données sont crédibles.

Jaco du Toit

Le professionnalisme, appliquer les règles de base de vérification de l’information, communiquer dans un langage clair, voilà qui protégera les journalistes. Mais, en l’absence d’un état de droit, ils resteront toujours dans une position vulnérable.

Jamal Eddine Naji

Pour résoudre la dichotomie média public/privé voire partisan, la solution est dans un corps professionnel uni et fort réunissant journalistes du public et du privé. C’est une profession dotée de privilèges, qui permet la mobilité sociale, pouvoir aller dans un palais comme dans un bidonville et l’un de ces privilèges c’est de pouvoir se défendre face à la loi avec son éthique.

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Développement des médias : un atout du développement économique ?

Modérateur de la table ronde, Patrice Zehr rapporte une expérience personnelle pour lancer la discussion. Il a participé à la création de Médi 1, un nouveau média né de la volonté du roi du Maroc d’accélérer le développement économique par la médiatisation et la liberté – relative – de ce nouveau média. Un premier effet a été constaté sur le marché publicitaire, jusqu’alors réduit à un marché réduit sur le service public, avec des annonces d’un autre âge. Il y a eu un dynamisme et une créativité qui a boosté un peu la publicité qui est l’un des moteurs de l’économie.

Atout oui, mais certainement avec des nuances.

LES INTERVENTIONS LIMINAIRES DU PANEL

Meriem Oudghiri

Oui, mais il faut un préalable, un marché libre, des médias professionnels, transparents et indépendants financièrement et éditorialement.
Les médias sont un outil de veille et un formidable instrument de travail pour les opérateurs économiques, particulièrement pour les petites entreprises qui n’ont pas forcément accès à l’information. Dans mon quotidien économique, par exemple, nous publions tous les ans la loi de finance, les circulaires des impôts, les nouvelles normes, tous les textes qui façonnent le paysage économique.
Les médias sont des accompagnateurs et des pédagogues des grandes réformes. A la fin des années 90, le Maroc a été pris d’une boulimie juridique en produisant une cascade de textes sur le code de commerce, la concurrence et la consommation. L’objectif était de combler un vide juridico-économique car la plupart des textes datant du protectorat étaient complètement obsolètes. Il fallait doter le pays d’instruments fiables et surtout pousser à la transparence des affaires. De nouveaux concepts allaient naître. Et donc, en tant que quotidien économique, nous avons accompagner les opérateurs dans leur apprentissage parce que notre démarche consistait à dire que les concepts les plus flous finissent par être assimilés et compris. Car c’est par l’information que les choses avancent.
Les médias ont également un rôle de prescripteur. Lorsqu’ils ont la liberté de ton et la crédibilité bien ancrée sur le marché, ils sont lus et scrutés par les investisseurs étrangers et les institutions internationales. En fait, nous servons de tableau de bord, d’observatoire de l’état de santé de l’économie du pays.
Avec le développement des réseaux sociaux, les médias servent de relais-réseau. Depuis quatre ans, je participe à un réseau mondial de cinquante journaux dans le monde représentant plus de 140 millions de lecteurs, à travers une plateforme de partage de projets concrets sur la santé, l’environnement, l’éducation. Deux fois par an, nous publions un spécial de projets qui font du bien à la communauté. Nous faisons du journalisme positif et les retours sont très importants. Par exemple, pour le Maroc, les porteurs de projets ont eu une médiatisation internationale inattendue, certains ont même pu exporter leur innovation. A la suite d’un reportage dans un petit village du Maroc où une ONG avait récolté de l’eau potable à partir du brouillard, un mécène sud-africain a lu l’article et est venu passer une semaine sur place. En partant, il a laissé un gros chèque.
Nous sommes des accompagnateurs, des prescripteurs. Oui, nous sommes bien un outil du développement et même un catalyseur de développement économique.

Elisa Desbordes-Cissé

African Media Initiative a été créée en 2010, à la suite d’un rapport demandé en 2005 par Tony Blair, alors président du G8, sur l’état des médias en Afrique. Dans les recommandations du rapport figurait la création d’une structure ayant pour mission de faire des médias africains des acteurs de promotion de la gouvernance démocratique, du développement social et de la croissance économique.
Aujourd’hui, AMI est un réseau réunissant 6 000 journalistes, 4 000 en Afrique anglophone et 2 000 en Afrique francophone. Une étude que nous avons réalisée en 2014 montre que la couverture médiatique en Afrique, 10 % seulement des contenus concernent le développement économique, le reste sur la politique. Pourquoi ? Par manque d’expertise et de connaissance des journalistes mais aussi parce qu’ils n’aiment pas forcément analyser les informations et les données qu’ils reçoivent.
Cela nous a conduit à développer un programme de formation pour faire des journalistes des experts sur les questions de développement économique, mais aussi agricole, sur l’éducation. 300 journalistes ont été formés en deux ans.
Après avoir participé au premier stage sur l’agriculture, une journaliste de Tanzanie a commencé à écrire de plus en plus sur ces sujets au point que son journal, le Guardian, a observé une augmentation et une diversification du lectorat ainsi que l’arrivée d’annonceurs privés. Devant ce succès, une rubrique spéciale a été créée dans le journal.
AMI met également en place une coopérative, AfricaMedias Corporative, en phase pilote pour le moment. Nous travaillons dans six pays africains francophones et six anglophones, avec de toutes petites équipes audiovisuelles de deux ou trois personnes par pays, qui vont traiter des sujets de fond après avoir été formés pour respecter les normes internationales. L’idée étant de vendre leurs programmes à d’autres médias afin de se procurer de nouvelles ressources.
Dans sa recherche de l’excellence et de la spécialisation, qui permet d’attirer plus de lecteurs et d’annonceurs, AMI remet depuis deux ans un prix Vimeo destiné aux journalistes qui s’intéressent au développement économique. Nous organisons enfin tous les deux ans, le forum des patrons de presse africains qui réunit 4 à 500 participants.

Souleymane Diallo

Tenté de répondre « peut-être » à la question, en revenant sur l’expérience de la Guinée. Le développement économique du pays et celui des médias n’ont démarré qu’en 1990. Auparavant, pendant la période révolutionnaire, de 1958 à 1984, ce n’était pas la priorité. Les médias étaient tenus par des militants affectés à l’information et l’économie contrôlée et dirigée par des sociétés d’Etat. Il a fallu attendre 1990 pour bénéficier d’une constitution et, un an plus tard, de lois, dont une sur la liberté de la presse. Ce fut le début du foisonnement de la presse, à commencer par mon journal, qui fut le premier, d’abord dans une formule satirique pour bousculer un paysage médiatique figé. Il a fallu trouver un imprimeur à l’extérieur, à Abidjan, le seul sur place ayant refusé, mettre en place un système de distribution avec des vendeurs à la criée, négocier avec les taxis-brousse pour atteindre l’intérieur du pays. Nous avons connu un succès fou dès le départ.
La presse privée s’est développée et l’économie dans le même temps. Mais la passerelle entre les deux, que nous avons tenté de lancer avec la publicité, est très mince.

Taïeb Zahar

Je pars d’une conviction profonde, partagée par le panel : une presse indépendante est essentielle pour un développement économique équitable, elle contribue à encadrer les débats en permettant aux différents acteurs socio-économiques de s’exprimer librement et à donner la parole aux personnes pauvres et privées de droits. Plus de 1 milliard et demi de personnes survivent avec moins de 1 dollar par jour. La corruption mine l’efficacité des programmes d’aide internationale. Le combat contre la pauvreté passe par la lutte contre la corruption, de même qu’elle entrave le développement économique et mine la croissance nécessaire à la résorption du chômage endémique, qui frappe surtout nos pays. En Tunisie, après la révolution de 2010, la corruption s’est étendue, elle était du seul apanage de la famille Ben Ali, elle s’est « démocratisée, c’est même la chose aujourd’hui la mieux partagée. Chaque année, nous perdons 2% de croissance.
Les médias, s’ils sont libres et indépendants, peuvent jouer un rôle déterminant en dénonçant la corruption et en contribuant à moraliser la vie politique, en s’intéressant de près à l’action des pouvoirs publics. En outre, ils permettent aux citoyens d’exprimer leurs opinions sur la façon de gouverner et donc de pousser aux réformes. Les médias facilitent les échanges, la transmission des idées et des innovations.
En Tunisie, aujourd’hui, les médias revendiquent la justice fiscale, ils s’opposent à la dérive des finances publiques, dans ce cas précis soutenant le gouvernement en place, en dénonçant les intérêts corporatistes et les augmentations de salaires sans contrepartie de productivité ou de création de richesse. Politique malheureusement suivie par tous les gouvernements à l’exception de l’actuel qui a donc trouvé un soutien auprès des médias pour convaincre l’opinion publique. Ceci n’est évidemment possible que si les gouvernants jouent la transparence dans un environnement démocratique. On peut affirmer que c’est le cas aujourd’hui en Tunisie.
Mais l’expérience montre que lorsque les médias ne jouissent pas d’une véritable indépendance, déterminée par différents facteurs : pas seulement la réussite économique mais aussi la structure de leur capital, les ressources financières nécessaires à leur bon fonctionnement, l’accès à la formation, les politiques publiques d’aide aux médias, alors ils peuvent faire l’objet de compromissions de la part de gouvernants qui essaient trop souvent de les museler ou de la part des puissants intérêts privé qui les contrôlent, réussissant souvent à imposer des limites au travail des journalistes. De même, la dépendance des médias à la publicité privée, essentielle pour notre survie, est une réalité dont il faut tenir compte, car elle limite le travail d’investigation des journalistes. Les pays du sud n’en ont pas le monopole, c’est valable aussi dans les pays développés. La liberté n’est jamais totale. De même qu’El Pais en Espagne hésiterait à critiquer la chaîne de grands magasins Corte Ingles, qui lui apporte 20% de ses recettes publicitaires, en Tunisie, aucun journal ne viserait une grande entreprise de télécom, sans être blacklisté tout de suite, donc mort.
C’est une raison supplémentaire d’exiger un soutien public aux médias pour assurer leur existence et leur permettre de jouer un rôle. De même qu’un environnement juridique approprié, code de la presse, conseil de presse nécessaire pour avoir une presse responsable et de qualité, sans oublier la formation des journalistes, notamment des journalistes spécialisés qui manque cruellement.
Les médias sont plus à même de promouvoir une meilleure performance économique lorsqu’ils remplissent trois conditions : l’indépendance, la qualité du travail journalistique et une grande audience.

QUESTIONS/REPONSES ET COMMENTAIRES

Jamal Eddine Naji

Revient sur la publicité de proximité qui peut être un gisement de développement des médias et des annonceurs eux-mêmes et de leurs activités. Exemple au Maroc d’un journal électronique qui arrive à dégager 20 000 dirhams (2 000 €) lui permettant de payer trois salaires mais le plus intéressant c’est qu’avec la publicité de proximité, il est obligé de rester avec une image positive concernant son contenu, donc il ne fonctionne pas avec des rumeurs, avec photoshop. Même avant la révolution tunisienne, j’avais eu la surprise de constater que dans les premières éditions électroniques, il y avait cette publicité de proximité. Où en est-on aujourd’hui ?

Taïeb Zahar

Un début de basculement s’effectue aujourd’hui de la presse papier vers la presse électronique. On a senti que l’avenir était dans la presse électronique et donc tous les médias se sont mis au digital indépendamment d’expériences de start-up.
Mais le marché publicitaire est très restreint, par rapport à l’afflux de journaux digitaux qui occupent l’espace médiatique. Donc beaucoup de médias, surtout s’ils ne s’appuient pas sur de grands groupes, qui n’ont pas d’édition papier, sont menacés peut-être de disparition. Nous réfléchissons à la création un fond de soutien. C’est un combat existentiel.

Dorra Megdiche

Fondatrice d’un journal en ligne francophone, je m’interroge : on parle de pays en voie de développement, donc supposés avoir des difficultés économiques plus ou moins aigues. Les médias sont-ils alors un moyen curatif ou palliatif, sont-ils là pour sensibiliser, éviter les soucis économiques ou bien trouver des solutions, être une force de propositions ?

Taïeb Zahar

Les médias peuvent accueillir le débat, jouer un rôle préventif et militant pour la bonne gouvernance mais ils peuvent aussi par les enquêtes qu’ils peuvent diligenter fournir aux décideurs des idées ou corriger certains tirs. Ils peuvent faire les deux rôles mais
je me méfie un peu de la proximité du journaliste avec le pouvoir. Chacun doit être dans son rôle : on ne peut être associé avec le pouvoir pour un projet économique. Cette confusion des rôles limite la liberté d’action du journaliste. Il faut se méfier, bien sur que l’on a un rôle militant en tant qu’africain, en tant que pays sous-développé, pour pousser au développement économique mais attention !

Journaliste service public Guinée

Retour sur la situation en Guinée. Il a y a un foisonnement des médias privés qui a entrainé une émulation entre les entreprises à en juger par le niveau de la publicité aussi bien dans presse écrite que dans les télévisions. Les entreprises et même les services publics veulent être beaucoup plus visibles dans les médias.
Les médias jouent de plus en plus un rôle dénonciateur dans la gestion économique.
Enfin, en Guinée, nous avons le volet information-éducation-communication pour les projets de développement économique, auquel les médias sont systématiquement associés.

Taïeb Zahar

Le comportement des médias pendant et après les printemps arabes ?
Pas de printemps arabes, que des pays sinistrés et disloqués, le seul contre-exemple pourrait être la Tunisie qui a réussi sa transition politique mais pas encore sa transition économique et sociale. Nous vivons des tensions terribles sur le plan social, nous avions des taux de croissance annuel de 5 à 6%, certes avec un problème de redistribution des richesses alors que nous sommes maintenant avec un taux de croissance très faible voire négatif, avec des augmentations de salaires sous la pression des syndicats. Nous avons des tensions terribles sur les finances publiques.
Dans les médias, nous avons connu deux périodes. Une première euphorique, avec la création d’une multitude de journaux, les journalistes ayant acquis ce qui leur est le plus cher, la liberté d’expression. Puis, après les premières élections, on a eu un gouvernement dominé par les islamistes et nous avons tout de suite été confrontés à une politique liberticide de la part de la troïka qui a tout fait pour affamer journaux et journalistes. C’était projet de société contre projet de société. Il fallait que cette presse qui ne leur était pas acquise disparaisse pour qu’elle soit remplacée par une presse beaucoup plus convenante avec le gouvernement. On a connu une période très difficile, qui n’est pas terminée, qui s’est soldée par la disparition de plus de la moitié des journaux. Aujourd’hui, bien qu’il y ait eu de nouvelles élections, les pouvoirs publics n’ont pas accédé à des revendications légitimes, c’est à dire organiser la publicité publique, reprendre les abonnements publics suspendus par la troïka. La presse vit des jours difficiles, nous ne payons plus la sécurité sociale. Sans compter les pressions et contraintes économiques, même si nous avons gagné notre liberté politique.

Journaliste d’agence RDC

Une expérience de l’union nationale de la presse du Congo qui vient de mettre en place le prix de la bonne gouvernance attribué aux chefs d’entreprises publiques ou privées, voire membres du gouvernement qui se distingue dans la bonne gouvernance. On a constaté une émulation entre les entreprises et les journaux commencent à critiquer ce à travers l’Union nationale qui ne peut pas être attaquée.

Tidiane Dioh

Le fonds d’appui à la presse de l’OIF demande cinq critères : le journal doit avoir un an d’existence, être indépendant des partis politiques et des associations religieuses, employer des journalistes professionnels, disposer de statuts certifiés et avoir en caisse 20% de la somme demandée. Attribuées par une commission de six personnes, les subventions peuvent s’élever jusqu’à 30 000 €, c’est à dire 20 millions de CFA.

Philippe Plénacost

Un changement politique peut être un facteur de déstabilisation mais aussi un facteur de stabilisation. En Thaïlande, pendant une dizaine d’années, il y a eu des conflits politiques très graves jusqu’à ce que les militaires prennent le pouvoir après un coup d’état en 2014. Leur arrivée a rassuré et stabilisé la situation économique du pays. On peut en discuter mais des évènements politiques peuvent avoir l’effet inverse en rétablissant une croissance.

Meriem Oudghiri

La transparence, l’indépendance sont importantes. Des entreprises qui ne le sont pas sont affaiblies et mettent en danger le pays. Dans mon journal à capitaux privés totalement indépendant du pouvoir et de tout parti politique, nous nous permettons de critiquer, de monter au créneau lorsqu’il y a des dérives sur les libertés individuelles. Il est important de jouer notre rôle en tant que média dans le développement économique selon nos critères de liberté, de transparence et de professionnalisme.

Taïeb Zahar

Revient sur le tryptique médias-terrorisme-tourisme. En Tunisie, nous avons perdu beaucoup de touristes, notamment français, par une faute non pas partagée mais avec des circonstances atténuantes pour la presse tunisienne. Quand on a vu comment elle avait couvert les évènements de Sousse, montrant en continu des cadavres sur la plage, ce n’était pas le meilleur moyen d’attirer les touristes. Si on observe en parallèle ce qui s’est passé en France le 13 novembre, on n’a pas vu une goutte de sang. Mais nous sommes en train d’apprendre à maitriser cela, avec de la formation pour que nous sachions raison garder. La presse française, en raison de sa proximité avec la Tunisie, a massacré d’une certaine manière notre activité touristique. Chaque petit incident était amplifié. Résultat : nous avons perdu un million de touristes français sur 1, 4 million. Il va être très difficile de revenir à ces chiffres.
Nous sommes en train d’apprendre à couvrir les actes odieux terroristes, de façon à ne pas jouer le jeu des terroristes qui cherchent le maximum d’impact.

Meriem Oudghiri

La presse occidentale a un regard particulier sur nous. A titre d’exemple, un incident dans un ville du nord – un poissonnier tombé dans une benne, dans une affaire de poisson trafiqué – a fait l’ouverture des journaux télévisés des principales chaînes françaises, donnant l’impression que c’était le printemps arabe au Maroc. Il faut que les médias occidentaux changent leur regard sur les pays du sud.

Pierre Ganz

Changer le regard des pays du nord sur les pays du sud. Oui, évident, mais cela ne veut pas dire cacher la réalité, y compris la présence de cadavres sur les plages. C’est horrible mais il vaut mieux les montrer parce que si on veut nourrir les thèses complotistes et les arguments sur la presse qui ment, la meilleure chose à faire c’est de commencer à cacher les réalités qu’on ne peut assumer.

Taïeb Zahar

Nous sommes en train d’apprendre. A-t-on vu des cadavres d’enfants à Nice ? Non, peut-on dire pour autant que la presse française a voulu cacher la vérité. Le problème c’est la manière de couvrir, avoir une certaine distance.

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Pluralisme des médias et pluralité des opinions

LES INTERVENTIONS LIMINAIRES DU PANEL

Aimé-Robert Bihina

Intervention placée dans le champ des relations entre le pouvoirs et les médias dans une triple logique : de verrouillage, de relative liberté et de liberté surveillée. Ce qui est le cas du Cameroun. Sur le plan quantitatif : 600 titres en presse écrite dont 150 réguliers, les autres étant périodiques, voire « sporadiques », une centaine de radios et 40 chaînes de télévision. Il y a donc un pluralisme médiatique mais y a-t-il pour autant un pluralisme d’opinion. Les médias sont le terrain de jeu du pouvoir mais un terrain à géométrie variable selon que l’on est dans les médias à capitaux publics ou privés. Avec les médias publics, le pouvoir entretient une relation ambivalente faite de collaboration et de subordination. Collaboration objective avec le pouvoir dans la défense de certaines valeurs qui nous sont communes, l’unité nationale, l’intégrité nationale, le vivre ensemble. Subordination parce que les médias publics sont placés sous la coupe du pouvoir avec une double tutelle administrative et financière : du Ministère des Finances qui apporte 90% des ressources des télévisions publiques et du Ministère de la Communication qui ne se fait pas prier pour exercer sa tutelle administrative. Par opportunisme ou par carriérisme, certains journalistes s’autocensurent systématiquement tandis que d’autres, heureusement, osent et donnent la parole à tous les acteurs de la société qu’ils soient pro-régime ou dans l’opposition et font donc rejaillir la pluralité d’opinion. Surtout que la ligne éditoriale des médias publics le permet, on peut parler de tout, tout diffuser, toutefois in fine c’est le point de vue du gouvernement qui doit prévaloir. C’est la liberté surveillée. Mais, en réalité, la marge de liberté des médias publics dépend du degré d’ouverture du ministre de la Communication et de la capacité des directeurs généraux à faire le dos rond face aux intrusions du pouvoir. Dans les rédactions, les journalistes eux-mêmes sont divisés entre une aile progressiste et une aile conservatrice, qui négocient leur indépendance au jour le jour dans un véritable jeu du chat et de la souris. C’est un journalisme en « accordéon », fait de flux et de reflux des espaces de liberté.
Les médias à capitaux privés restent eux aussi un terrain de jeu du pouvoir mais la nature des relations change, avec un peu de conflictualité, de connivence ou d’alliance.
Quelques journaux affichent clairement leur indépendance vis à vis de tous les pouvoirs, d’où des conflits avec le pouvoir ou avec certains barons qui goutent peu la critique de leur action. Cette tension peut aller jusqu’à la rupture avec la résiliation d’abonnements ou encore des procès, comme en ce moment pour plusieurs journalistes en vertu de la loi anti-terroriste. Mais, à force de vouloir être trop indépendant, certains journaux privés pratiquent le manichéisme en critiquant systématiquement tout ce que le pouvoir fait.
Il y a enfin beaucoup de journaux privés qui pratiquent un journalisme de connivence, publiant parfois des enquêtes dérangeantes pour donner le change mais, en réalité, les directeurs de publication ont leurs entrées dans les allées du pouvoir et bénéficient même parfois de financements à l’approche des échéances électorales. Enfin, il y a le gros de la presse privée qui pratique un journalisme d’alliance, des organes créés par des gens du régime ou par des opérateurs privés qui se mettent au service du régime. Ce bric-à-brac médiatique constitue la « presse à gages », instrumentalisée par tel ou tel pour descendre un adversaire politique.

Mustapha Be T Letaief

En Tunisie, avant la révolution, il y avait un pluralisme quantitatif des médias écrits, audiovisuels ou électroniques mais pas de pluralité d’opinion. L’information était l’un des quatre piliers du régime avec le parti dominant, la justice et la police.
Après 2011, a soufflé un vent de liberté totale, sans limite, engendrant un paysage chaotique. Le Ministère de l’Information a été supprimé. Totalement libres, les journalistes ont cherché leur équilibre, leur voie, la boussole qui éviterait des manquements au professionnalisme mais aussi qui les sortirait de l’héritage de l’instrumentalisation. Durant les premiers mois, il y a eu des manquements à la déontologie. Membre de la Haute instance pour la transition démocratique, créée après le départ de Ben Ali, j’étais chargé du dossier des médias et du nouveau cadre juridique. Nous avons travaillé de manière participative pour donner des repères aux entreprises et aux journalistes ; deux décrets ont été adoptés en urgence, avant les élections, afin d’avoir une campagne équilibrée, l’un créant une autorité de régulation pour l’audiovisuel, l’autre instituant un nouveau code de la presse, abrogeant de fait les textes de l’ancien régime. Ces textes ont été mis en place pas seulement pour encadrer mais pour protéger cette liberté chèrement acquise. Ils font aujourd’hui consensus et sont considérés comme l’un des principaux acquis de 2011. Ils devaient protéger les journalistes et les entreprises de presse des abus du pouvoir, du capital privé parfois pas très net et même les journalistes des abus de certains de leurs collègues. Nous avons assisté à un véritable pluralisme des médias et à une pluralité des opinions.
Dans le même temps, a été mise en place une autre instance de réforme de l’information et de la communication, qui a élaboré de nouvelles règles de déontologie et de nouvelles pratiques pour l’attribution de licences à de nouvelles chaines de radio et de télévision.
Aujourd’hui, la situation est en cours de consolidation et de remise en cause. Le vieux n’en finit pas de mourir et le nouveau n’en finit pas de naitre. Des tiraillements ou des nostalgies de retour à des pratiques ancrées, apparaissent depuis un an avec le retour de certains hommes.
Mais il y a aussi volonté d’aller de l’avant. Des progrès. Dans les textes, nous avons prévu des conditions : la transparence des structures financières, l’interdiction de concentration, des règles pour les chaînes religieuses, l’interdiction faite aux dirigeants de partis politiques d’être propriétaires ou actionnaires de chaines pour éviter l’instrumentalisation partisane, des règles sur le pluralisme dans les émissions pour assurer la présence des différentes forces politiques et des courants de pensée.
Globalement, une situation bonne, mais un acquis précieux assez fragile, qui exige de réguler ce pluralisme, pour éviter les abus. Outre l’autorité de régulation qui devient constitutionnelle, une réflexion est en cours sur la création d’un conseil de presse pour la presse écrite et électronique ainsi qu’un chantier sur la transparence financière et sur une nouvelle organisation des rapports entre les médias publics et l’Etat.

Samir Chaouki

Notre groupe de presse est jeune, sept ans d’expérience, et nous comptons neuf nationalités africaines au sein de la rédaction, ce qui est pour nous une richesse et une expertise au moment où le Maroc prend une dimension africaine.
Le pluralisme permet au lecteur de se forger une opinion, de croiser les idées, de faire des choix.
Retour sur trois expériences : l’Egypte, la Tunisie et le Maroc. Les deux premiers ont vécu le printemps arabe, cumul de plusieurs facteurs socio-économiques. Les régimes de Moubarak et Ben Ali avaient une méthode policière de traiter la presse, avec des procès, des emprisonnements, des condamnations, des amendes pécuniaires de façon à fermer les organes qui dérangeaient. Mais, revers de la médaille, ils se sont retrouvés avec une seule presse qui avait fait allégeance au pouvoir et avait perdu toute crédibilité. L’opinion publique ne l’écoutait plus. Au même moment, dans ces deux pays, sont apparus les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Le pouvoir s’est trouvé face à la rue, il n’y avait plus de fusible, pas de presse crédible pouvant arrêter certaines manipulations, critiquer ce qui ne marchait pas, c’est à dire donner une image réelle de la société du pays.
Au Maroc, c’est différent, il y a la liberté de la presse, on peut écrire ce que l’on veut mais d’autres méthodes plutôt économiques peuvent contrecarrer le pluralisme : des coupures brutales de publicité, décidées aussi bien par le pouvoir que par les entreprises privées, qui n’ont pas la culture du pluralisme, sans oublier l’arme fatale des procès et des amendes très fortes qui dissuadent les entreprises de presse de franchir la ligne. D’où une autocensure.

Cédric Kalondji

En RDC, la ville de Kinshasa compte 50 chaînes de télé, une cinquantaine de journaux, la bande FM est pleine, donc pluralité des médias oui mais pluralité d’opinion, la question se pose dans la mesure où dans beaucoup de rédactions, le matin, en conférence, se pose la question d’aller dans un atelier de renforcement des capacités de n’importe quoi ou bien d’aller dans un quartier ou des maisons ont été détruites par des inondations. De nombreux confrères choisiront l’atelier parce qu’il y a des retombées économiques immédiates. Pour ceux qui auront perdu leur maison, on verra plus tard… Une bonne frange de la population n’a pas accès aux médias. Pourquoi moi citoyen j’achèterai un journal qui ne parle pas de moi. Les exemples sont nombreux. Rédacteur en chef d’une radio au Mali, je faisais remarquer aux journalistes qui préféraient aller à un atelier de l’UNICEF, dans un grand hôtel, avec petits fours et enveloppe à la fin alors que je m’étais rendu compte le matin que le prix de la viande avait augmenté, cela ne les intéressait pas.
Les médias traditionnels, la télévision publique, dictent l’agenda mais ne répondent pas aux besoins du public. Ils imposent le contenu qu’eux trouvent bien, les activités de la présidence, de l’assemblée, des ministres, et enfin, loin dans une dernière page, la situation des gens ordinaires susceptibles d’acheter le journal. Posons-nous la question de savoir pourquoi économiquement cela ne tient pas.
Ce comportement a fait la force des réseaux sociaux, des mobiles. Il y a une relative liberté pour les citoyens qui se trouvent désormais au cœur du processus de production et de diffusion de l’information. Exemple à Bamako où une attaque terroriste se déroule dans un grand hôtel. La télévision publique diffuse de la télé-réalité et c’est Itélé en France qui lance le direct repris quelques heures plus tard par la télé publique. A Grand Bassam, des gens tirent, la télévision d’Etat arrive quatre heures après l’attaque. On a eu tout de suite l’information par des jeunes qui, avec leurs téléphones portables, ont fait des photos et des vidéos et diffusé l’information. Une information non-professionnelle, avec ses excès, notamment avec le cas de cette Française découvrant la photo du corps de son mari affiché sur une page Facebook.
De même pour le débat, le citoyen a désormais la place centrale, il peut commenter une information, la contester alors que c’est impossible dans la presse traditionnelle. La génération mobile s’informe essentiellement avec le terminal que les journalistes professionnels voient comme un danger alors que c’est, pour moi, une opportunité. On se retrouve dans le contexte où il y a un clivage entre la presse dite professionnelle qui a son agenda, ses modes de financement, ses priorités et le citoyen qui veut être informé et n’a pas la parole mais trouve dans les nouveaux outils les moyens de s’exprimer, avec tous les freins et les problèmes d’éthique, de déontologie et de professionnalisation.
Une question : que fait-on ? On reste dans le statu quo de la presse qui travaille pour l’élite ou bien on investit ces nouveaux canaux permettant une interaction qui donne au citoyen la possibilité de nous contredire, de dire ce qu’il pense et d’avoir plus place dans la production et la diffusion des contenus.

Patrick Apel-Muller

Distinguer la pluralité des titres qui emplissent les rayons des kiosques et le pluralisme de la presse qui implique le pluralisme ou la pluralité des opinions. Le thème suggère que l’information n’est pas seulement une marchandise, que les médias ne justifient pas leur existence par le business mais par leur fonction dans l’espace démocratique. Le pluralisme de la presse est un des piliers de la démocratie, au même titre que la liberté de vote, de manifester, de s’engager dans un parti ou un syndicat. Mais, la liberté de choisir ne se conçoit pas sans liberté de savoir et connaître d’autant plus dans un monde complexifié.
Un problème s’est manifesté ces dernières années et ne peut se résumer dans la formule américaine de l’avènement d’un temps de post-vérité, ce serait être bien indulgent à l’égard de la production de l’information auparavant. La crise de confiance que l’on peut déceler autour de l’élection de Trump comme dans les sondages français ou dans le rapport des peuples africains à leurs médias interpellent l’ensemble de nos sociétés. Si les sites complotistes ont du succès c’est que les informations produites ont été dévaluées.
L’adhésion de la plupart des médias, pas des journalistes, à la conception libérale de la mondialisation se heurte de plein fouet à la manière dont les peuples en vivent les effets : mise en concurrence des salariés, déréglementation sociale, affaiblissement des services publics, domination des multinationales accompagnée par les pouvoirs politiques. Ce choix s’accompagne d’une restriction de l’espace démocratique, avec la volonté d’étouffer les voix alternatives.
La prise de contrôle des médias par les industriels et financiers, bien souvent disposés à perdre de l’argent pour acquérir un pouvoir d’influence qui, croient-ils, assurera leur liberté de manœuvre. Je ne citerai qu’un cas, celui de Xavier Niel, patron de Free et désormais copropriétaire du Monde, de l’Obs, Courrier International qui déclare : « quand les journaux m’emmerdent, je prends une participation dans leurs canards et ils me foutent la paix ».
Dans le paysage médiatique, on entend une sorte d’unanimité libérale. Dans les grands médias, on compte un économiste critique pour dix libéraux et le service public lui-même, qui devrait garantir le pluralisme, a été contaminé par ce virus. Alors que tous les quotidiens français bénéficient de la présence hebdomadaire d’un chroniqueur ou d’un débatteur au micro de France Inter, l’Humanité en est exclu depuis 15 ans. Les patrons de la radio ont été interpellés, le médiateur saisi mais leurs réponses lénifiantes n’ont connu aucune suite. Le seul quotidien critique sur les thèses libérales en France n’a pas droit à la parole sur la principale radio publique.
A force de seriner qu’aucun autre choix n’est possible, on pousse une grande partie de l’opinion publique à se détacher de ce qui peut être une information sérieuse mais aussi à se réfugier dans des solutions de repli pour répondre à leur douleur et à leur colère. Ces solutions peuvent conduire au pire, d’autant plus que s’organise une sorte d’information low cost passant par les opérateurs de téléphonie et les agrégateurs de contenus qui proposent les informations que dictent les algorithmes et par une presse gratuite dictée par les annonceurs alors que, d’un autre coté, une presse à haute valeur ajoutée, est réservée à une élite qui a pour vocation de gérer l’économie mondiale. C’est la raison que donne le PDG d’Amazon lorsqu’il rachète le Washington Post en disant : « il y a de l’argent à se faire dans la presse imprimée quotidienne en la destinant aux CSP+++ et aux dirigeants du monde ».

QUESTIONS/REPONSES ET COMMENTAIRES

Alpha Diallo

Comment atteindre le public cible ? Y a-t-il dans l’espace francophone une télévision qui diffuse l’intégralité des discussions au parlement ?

Samir Chaouki

Au Maroc, chaque mardi, de 14 heures à 18 heures sont retransmis les débats de la 1 ère chambre et le lendemain de la 2 ème. Ce sont des débats transparents, directs, houleux. Et une fois par mois, les parlementaires interpellent le chef du gouvernement. C’est devenu un rendez-vous pour les téléspectateurs.

Mustapha Ben Letaief

Depuis 2011, sept jours sur sept s’il le faut, les débats de l’assemblée constituante sont retransmis intégralement de 9 heures du matin parfois jusqu’à minuit sur la deuxième chaîne, alors qu’avions des programmes, des matches, des invités. J’ai plaidé pour la création d’une chaîne parlementaire mais il n’y avait pas les moyens pour la lancer.

Philippe Leruth

Je n’interviens pas en tant que président de la Fédération internationale des journalistes mais comme journaliste travaillant dans un quotidien local, réagissant aux remarques sur ce monde médiatique soumis à l’idéologie dominante.
Les capacités que nous offre le web ne peuvent-elles pas être utilisées, pour faire contrepoids et mettre en relation des journalistes locaux qui travaillent à travers le monde et pourraient échanger leurs informations et nourrir des sites.

Cédric Kalondji

Sur le continent africain, il a y encore un blocage sur la prise en main et la maîtrise des outils. Il est aujourd’hui très facile de créer un site, il fallait six mois il y a dix ans et maintenant 30 minutes suffisent pour mettre un site en ligne. Il faut ensuite distinguer entre les outils et les humains qui les pilotent. Je ne suis pas en train de dire qu’internet et les réseaux sociaux vont remplacer les humains parce qu’il faut un cerveau derrière. Les outils sont là, faciles, gratuits mais il faut les utiliser avec intelligence et surtout penser à l’utilisateur final. Pour qui travaille-t-on ? Dans les formations, je dis souvent aux journalistes que leur sujet est certes passionnant mais qu’il traite encore de politique ou de choix du gouvernement mais n’intéresse pas la vendeuse au marché. J’avais donc imaginé de créer et faire dessiner le personnage de Madame Fatou, 25 ans, mère de deux enfants. Quand les journalistes proposaient leurs sujets le matin dans la rédaction, sous le portrait affiché de Madame Fatou, il fallait se demander si elle allait être intéressée. Bien souvent la réponse était négative.

Patrick Apel-Muller

Il existe dans l’espace numérique des voies à emprunter pour contredire l’unanimisme de l’information délivrée. Mais ne pas oublier que l’univers de la toile est d’abord dominé par des géants. Nous avons cherché une réponse en mettant en place le réseau La Cerise de mobilisation populaire et d’échange citoyen, sur des préoccupations quotidiennes ou de grands sujets de société ou de solidarité internationale.

Aimé-Robert Bihina

Les médias numériques ont été lents à prendre parce qu’il y avait aussi une fracture générationnelle. Il y a une conversion numérique dopée par la 3 G et la4G qui ‘est généralisée. Les médias traditionnels s’adaptent, mettant en place des plateformes.

Eugénie Rokhya Aw

Deux questions.
Que deviennent les milliers de radios communautaires qui tentent de donner la parole à des communautés locales ? Une expérience a eu lieu dans trois pays, Mozambique, Mali et Sénégal. A partir du moment où il n’y a plus eu de financement, c’est mort.
Faut-il réformer en profondeur les modes de formation dans nos écoles et nos instituts pour prendre en compte la pluralité des voix.

Aimé-Robert Bihina

Les radios communautaires existent encore au Cameroun, une vient d’être inaugurée il y a un mois. Mais elles sont limitées dans leur agenda car on leur impose de ne traiter que des problématiques communautaires, sensibilisation à la lutte contre le sida, questions de santé maternelle. Si l’on veut aller au bout, beaucoup de sujets sont exclus de leur champ d’action parce que « tout est politique ».

Mustapha Ben Letaief

Nous n’avons pas de radios communautaires en Tunisie car c’est un petit pays assez homogène. Mais nous avons mis en place un cadre juridique pour les radios associatives non commerciales. Il y avait aussi une télévision, à l’origine associative, qui a très vite été vendue par son propriétaire pour un prix très important, c’est aujourd’hui une chaîne commerciale, qui fait le buzz et est la plus regardée du pays.

Cédric Kalondji

Quand j’arrive sur le continent pour une session de formation, avec une pédagogie telle qu’appliquée en France ou ailleurs, c’est à dire qu’on improvise une conférence de rédaction pour produire des sujets, les gens sont surpris et demandent où sont les fascicules et les PowerPoint. On ne forme pas des journalologues mais des journalistes. Pour avoir été étudiant à l’ESJ, le journalisme c’est la pratique tous les jours. Réformer le mode de formation, oui. Mais la plupart des écoles sur le continent sont des écoles de communication, pas de journalisme.

Aimé-Robert Bihina

Le problème c’est le système politique qui favorise ou non la pluralité des opinions.

Mahamane Haméye Cisse

Pluralisme des médias, pluralisme des opinions : quels sont les médias qui sont animés par des journalistes et ceux qui ne le sont pas ? Sur les réseaux sociaux, beaucoup d’informations circulent qui n’ont pas été traitées par des journalistes.
A propos de l’information locale, il faut d’abord la collecter puis la rendre accessible mais dans une langue que le public maitrise. C’est la force des radios. Quand j’écris en français, c’est pour une toute petite frange de la population du Mali, pour des gens qui savent le lire et l’écrire, pour des étrangers.

Hamida El Bour

Même après la révolution, la pluralité des voix profitent plus aux hommes d’aux femmes, la pluralité des opinions ne profite pas non plus aux jeunes. Il y a décalage entre ce que les médias proposent et ce que les jeunes veulent et vont chercher sur les réseaux sociaux. Je souhaite un regard comparatif parce que la sous-représentation des femmes et des jeunes est transversale.

Samir Chaouki

A partir de ce qui s’est passé aux Etats Unis avec l’élection résidentielle, on peut considérer que lorsque les médias essaient de manipuler l’opinion publique, leurs lecteurs ou leurs téléspectateurs, il y a défection parce que les gens sont conscients qu’on veut leur imposer une tutelle sur leur liberté d’opinion. Il n’est plus possible d’ignorer la nécessité du pluralisme dans les médias.

Mustapha Ben Letaief

En Tunisie, la liberté a profité à tout le monde, à des degrés différenciés certes. Même s’il reste encore beaucoup à faire pour la présence et le poids des femmes.
Pour les jeunes de moins de 18 ans c’est le smartphone, la tablette, une tendance mondiale avons essayé un langage plus adapté, plus intuitif.

Philippe Leruth

L’association des journalistes professionnels de Belgique vient de créer un site « expertalia.be », dont le but est de proposer aux rédactions des experts et notamment des femmes, qu’on voit rarement dans les médias, peut-être parce qu’on ignore leur existence, notamment des spécialistes étrangers vivant en Belgique, les médias faisant trop souvent appel à des experts belges, blanc de peau et masculins

Xavier Messé

On suspecte les Etats, et notamment le Cameroun, d’être forcés d’aller vers la pluralité des opinions parce qu’on a le sentiment qu’il investit énormément dans les médias du secteur public, la presse écrite financée en abondance, la télévision bénéficie de la redevance versée par tous les salariés. L’Etat est-il disposé à appliquer cette pluralité dans la mesure où il n’y a pas une manne publicitaire suffisante pour encourager la télévision privée, quant à la presse écrite, n’en parlons plus.

Aimé-Robert Bihina

Autant l’Etat abonde à 95% le budget de la télévision publique par la redevance, qui n’est pas une spécificité camerounaise mais a été inspiré par l’exemple français, autant il a le devoir de mettre en place des mécanismes d’aide à la presse privée, que ce soit par des aides directes, qui sont pour le moment faméliques, 200 millions de francs CFA, ou indirectes par la généralisation des abonnements que pourraient souscrire les 70 ministres que compte le Cameroun, une quarantaine de ministères, toues les administrations et institutions, les universités. Cela doperait les tirages. Mutation, le premier quotidien privé au Cameroun et en Afrique centrale, a un tirage à pleurer, à peine 4 000 exemplaires par jour, d’autres titres sont à 1 000 ou 1 500, faute de pouvoir d’achat et à cause d’une culture de la gratuité : on lit le journal au kiosque, on se contente de regarder la revue de presse à la télévision qui trop souvent maintenant reprennent l’intégralité des articles

Patrick Apel-Muller

Je ne crois pas qu’on puisse compter sur l’Etat ou les pouvoirs pour garantir le pluralisme, de la même manière je doute que le capital privé, qui a souvent des intérêts qui ne sont pas seulement de rentabilité mais aussi de puissance et de domination, garantisse de lui-même le pluralisme des opinions. Les journalistes seuls ne peuvent non plus le garantir car ils sont dans la position du pot de terre contre le pot de fer. Il est nécessaire de se retourner vers les citoyens qui vivent et ressentent une crise du pluralisme dans les médias à l’échelle mondiale. Il faut un débat citoyen pour que pouvoir politique et pouvoir économique soient contraints de lâcher du lest et permettre à une presse indépendante d’exister.

Aimé-Robert Bihina

D’accord sur la responsabilité du citoyen qui doit contribuer à avoir une information de qualité mais dans nos pays où le SMIC est à 35 000 francs, vous n’allez pas demander à des gens qui ne sont même pas assurés de leur repas quotidien d’acheter un journal 400 francs, puis s’ils veulent la pluralité d’opinion, qu’ils achètent deux, trois, quatre autres titres. Nos Etats ont l’obligation de promouvoir la pluralité d’opinion en finançant directement ou indirectement la presse.

Cédric Kalondji

La question qui se pose : pourquoi 30 titres dans une agglomération de deux millions d’habitants, pourquoi créer autant de journaux. Interrogeons nous sur la motivation qui pousse à la création de ces médias qui savent qu’économiquement ça ne marchera pas et qu’ils vont se faire financer par des mécanismes parallèles. On sait très bien que les hommes politiques, les entreprises privées et d’autres instances financent des médias qui n’ont pas le début d’une réflexion sur un modèle économique et sur leur indépendance. Revenir à la mission du journaliste : pourquoi créer un média, à qui doit il s’adresser et quel est le message ? Si c’est pour avoir une entreprise pour vendre du papier avec le contenu donné par le plus offrant, redéfinissons le journalisme, juste un métier ou un produit ou bien une vocation ?

Philipe Cortès

Sur l’interaction entre les citoyens et le journal : les commentaires sont pertinents et apportent un contrepoint, mettent en évidence les erreurs ou les lacunes du papier. Il faut bien sur trier mais certains sont très bien écrits et relancent le débat. Ils ont l’avantage de montrer que le pluralisme n’appartient pas qu’aux journalistes.

Patrick Apel-Muller

Des commentaires sont informés, pertinents, acérés même, il y a aussi une présence très forte des troll qui conduisent les sites des journaux à modérer a priori et non plus a posteriori les commentaires. Mais c’est un enclos encore trop petit pour la pensée pluraliste. On a besoin d’assises institutionnelles et constitutionnelles qui établissent le pluralisme mais c’est loin de suffire. En France, les instances sont trop souvent muettes sur ce qui est le cadre réel du pluralisme, elles interviennent au moment d’élections avec grande complaisance ou des commentaires critiques a posteriori mais pas pendant la période électorale. De la même façon que ces acquis institutionnels ou constitutionnels ont été pulsés par des mouvements démocratiques profonds, comme ce fut le cas en Tunisie en 2011 ou en France en 1944 ou encore en 1981, ont permis l’éclosion de radios et de médias différents, c’est la revendication par le citoyen d’un espace d’expression et de reconnaissance qui peut porter l’institution ou la constitution à des progrès.

Cédric Kalondji

Pour garantir le pluralisme, quatre mots clés :
. parler à tout le monde, être au milieu du village,
. tenir compte du genre, car trop souvent ce sont les hommes qui parlent dans les médias, les femmes n’ayant la parole que sur des thématiques plus légères,
. parler de l’inclusion générationnelle, que les jeunes se retrouvent. Au Cameroun, par exemple, des jeunes ont lancé le journal pour enfants, un journal télévisé, pour qu’ils comprennent ce qui se passe chez eux avec des mots qui leur sont propres,
. classe sociale : les médias ne devraient pas être réservés aux riches. Les journaux transitent par les bureaux des administrations, des ONG, des organisations internationales. Une énorme partie de la population n’a pas accès à l’information, c’est à elle que l’on doit parler, tendre le micro.
Si ces éléments sont réunis, on peut réussir à trouver un équilibre. Mais tant que les médias resteront élitistes, tant que les journalistes seront des journalistes de bureau, au service de celui qui a le gombo à donner ou de celui qui est le plus fort à ce moment là, on ne pourra parler de pluralisme.

Patrick Appel-Muller

Le pluralisme n’est pas une simple question de principe vite évaporée dans les réalités mais une grande partie de l’avenir du journalisme et des médias dans leur capacité à être reconnus et entendus par les populations du monde tient à l’intégration de la notion de pluralisme comme une notion stratégique.

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Atelier

QUELLE AUTONOMIE POUR LES MEDIAS DANS UNE SITUATION DE PRECARITE ECONOMIQUE ?

L’indépendance économique est la première des indépendances des médias, indépendamment de la région. C’est le socle sur lequel ils sont bâtis. Ils ont deux ressources principales : les abonnements et les revenus publicitaires, d’où l’importance des annonceurs sans lesquels les médias voient leur visibilité se réduire ou même disparaissent. Dans ce contexte, les médias sociaux prennent de plus en plus de place dans la société et prennent même la place de journalistes professionnels. La précarité de leur situation les force souvent à composer même si la presse est dans son essence libre et indépendante. Mais les médias indépendants gênent le pouvoir. En somme, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.

L’un de nos confrères du Sénégal a souligné que « ceux qui ont traversé les époques difficiles doivent leur survie à ce qu’une entreprise devrait considérer comme son bien le plus précieux : son état d’esprit général, le mental de ses animateurs. La volonté de résister aux intempéries engendre la capacité de surmonter les difficultés et ne jamais renoncer. Elle permet de survivre à un environnement hostile à la liberté d’expression : ce qui va de la répression, les violences physiques et psychologiques, les poursuites judiciaires, l’emprisonnement, jusqu’aux mesures de rétorsions économiques, suppression d’annonces publicitaires et d’abonnements, condamnations pécuniaires, saisies. La deuxième condition indispensable à la survie de l’entreprise demeure, en plus de leurs qualités morales, le niveau professionnel de ses acteurs. Le talent des divers animateurs des médias sont les principaux atouts qui leur donnent du crédit et emporte l’adhésion du public. C’est son capital ».

En plus de sa particularité éditoriale, l’entreprise de presse doit avoir un projet économique viable.

La rétribution de la propriété intellectuelle a été réclamée. Lorsque les informations sont reprises à l’infini, ni leur auteur ni leur éditeur ne bénéficient des retombées financières qu’elles pourraient générer. Une taxe, dont le produit serait réservé à la presse, devrait être instituée sur tous les appareils permettant copie, reproduction ou diffusion, ordinateurs, tablettes, téléphones, photocopieuses, scanners, imprimantes, papier, tout matériel d’imprimerie, appareils de radio et télé, enregistreurs, appareils photos, câble, antennes etc. Cette taxe serait calculée sur le préjudice économique que cette reproduction à l’infini, la plupart du temps sans citation de la source, fait subir à l’entreprise de presse.

Autre point douloureux : le salaire des journalistes, quand il y en a un. En dépit de leur volonté, les médias sont tentés d’accepter les prix fixés par les annonceurs pour ne pas déposer leur bilan, sans parler du copinage de certains médias privés avec le pouvoir, allant jusqu’à l’instauration de formulaires de demande d’aide de l’Etat, de facto impossibles à remplir pour les autres médias.

La dualité de la presse, produit à la fois culturel et commercial, a été illustrée par la présentation de l’éditeur de Gavroche en Thaïlande, une région jadis francophone, de moins en moins aujourd’hui. Son modèle économique, à l’origine, il y a vingt ans, dans un contexte linguistique et économique défavorable et sans aide institutionnelle, reposait sur la publication d’un magazine en français, avec une ligne éditoriale susceptible d’attirer les annonceurs. Mais ce modèle, qui a bien réussi au début, est devenu obsolète avec la révolution numérique, perdant 40% de son chiffre d’affaires. L’éditeur a du diversifier ses activités en créant une agence de communication et en mettant en ligne l’essentiel de sa production éditoriale.

Pour l’économie des médias, dont le terme même n’a pas la même signification partout, la contextualisation est un élément important. Un bon exemple en est donné par le Fonds d’appui aux médias du sud, créé par l’OIF en 1988. Il répond à des besoins variés selon la situation des pays : financement de groupes électrogènes pour un journal de RDC, trop souvent paralysé par des coupures de courant, ailleurs achat d’un autobus pour le transport des journalistes.

D’autres constats relevés par l’atelier : les médias florissants ne sont souvent pas autonomes ; la précarité économique n’est pas spécifique aux médias du sud, les médias français, par exemple, embauchant des pigistes ; toutefois, on a noté l’arrivée en journalisme de personnes venues de diverses autres professions.

Enfin, l’atelier a retenu cinq suggestions :
. développer le gisement de la publicité de proximité dans le modèle économique de la presse écrite comme électronique et des radios locales ;
. pour qu’il y ait autonomie, miser sur le professionnalisme, fondé sur la formation continue, y compris sur l’éthique ;
. importance de l’organisation professionnelle qui va générer de la solidarité contre la précarité du statut du journaliste, qui peut menacer l’autonomie éditoriale comme la viabilité économique de l’entreprise ;
. favoriser toutes les mutualisations possibles pour l’impression, la diffusion, certaines infrastructures comme les émetteurs de radio;
. besoin d’une aide publique juste, à partir du concept à défendre par un plaidoyer politique que la presse est un instrument d’intérêt public qui joue un rôle public.

Avec une idée chère : qu’il y ait simultanéité dans les revendications entre liberté d’expression et viabilité économique de l’entreprise.

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Atelier

MEDIAS PUBLICS OU MEDIAS D’ETAT

Ces médias ont une mission de service public : la cohésion nationale, l’existence d’un débat démocratique dans le pays et l’ouverture au monde. Souvent nos Etats se sont appuyés sur un outil, le média publics, qui, dans sa pratique a renié un peu cette mission de service public et l’a remise en cause. Comment concilier à la fois la mission et le fait que des médias appartiennent à l’Etat.
Plusieurs exemples ont été cités.
Au Sénégal, plusieurs alternances ont conforté et pérennisé le service public. En Tunisie, la révolution a bousculé les médias, on est allé d’un extrême à l’autre, lorsqu’après avoir été la télé du pouvoir, elle est devenue la télévision contre le pouvoir mais il y a une période de réajustement en cours, avec un vrai débat au sein du pays. On a cité également les situations du Congo Brazza et de la Mauritanie, à chaque fois avec l’idée que les journalistes ont joué un rôle important. Il y a la donne politique et le travail journalistique dans les rédactions. Au Congo, on estime que la résistance au pouvoir doit servir la démocratie.

On ne devrait plus parler de médias d’Etat ou de service public mais insister sur le fait que ce sont les contribuables qui les financent et donc parler de médias des citoyens.

Il faut un cadre politique minimal certes mais souvent, même dans les périodes difficiles où il n’y a pas de liberté de la presse, les journalistes peuvent avoir des marges de manœuvre. Ce cadre minimal doit fixer qui nomme les dirigeants, prévoir des structures de régulation et le financement.

Il doit y avoir une exigence d’éthique pour l’exercice de la profession. Si nous voulons être respectés, nous devons être respectables, balayer devant notre porte. Beaucoup de journalistes n’en sont pas, ils n’ont rien à faire dans la profession. Ce qui a été résumé ainsi : que ceux qui veulent faire de la politique ou de l’argent ou de la communication partent faire de la politique, de l’argent ou de la communication mais que nous, journalistes, nous nous battions pour l’éthique.

Deux recommandations sont faites à l’UPF :

. faire connaître les expériences particulières, même individuelles, les petits combats quotidiens, les bras de fer, tout ce qui fait avancer notre métier, pour les partager, les mettre en réseau et ne pas rester isolé ;
. être plus présente dans le combat pour la liberté de la presse et accompagner, y compris en formation, les journalistes sur le terrain.

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Atelier

FELAKA, GOMBO… QUELLES PROPOSITIONS POUR Y METTRE FIN ?

Même si le nom diffère, felaka, gombo, per diem, communiqué final, coupage, ces pratiques n’existent pas seulement au sud mais aussi au nord, sous d’autres formes, voyage publicitaire, publicité déguisée dans un article.
On a d’abord déploré l’état de la presse et du métier de journaliste et listé toutes les façons de « récupérer la mallette », de récupérer une partie de l’argent avant l’article, pendant sa rédaction ou après publication.

Des propositions générales, d’autres plus précises et même des interpellations ont été formulées. En préambule, il faut constater que cette situation est le résultat de la précarité des journalistes, qui ont un salaire ou parfois pas, et celle de la presse en général, avec des entreprises qui manquent d’argent, ont des modèles économiques fragiles. La fragilité des médias dans leur constitution administrative et juridique est aussi un terreau pour ces pratiques.

Les propositions :

. assainir la profession : autrement dit, on ne devient pas journaliste n’importe comment ou par hasard . Il faut se former aux techniques, avec un stylo, un micro ou une caméra, en ayant un minimum de déontologie, en essayant de prolonger cette
. instituer un code de déontologie à la fois dans le média où l’on travaille, voire dans son pays,
. renforcer les groupements collectifs, pas forcément un syndicat
. ouvrir l’actionnariat aux journalistes avec des montants financiers sans doute inférieurs à ceux des autres actionnaires, de manière à avoir aussi un peu de pouvoir au sein de l’entreprise,
. réformer les statuts des organes de presse,
. enseigner aux médias à générer eux-mêmes des revenus. Un journal produit de l’information, qui a un prix et il peut en tirer des recettes supplémentaires,
. laisser au rédacteur en chef, à la conférence de rédaction du matin, le choix des sujets et de ceux qui vont les couvrir peut être une façon de limiter le felaka,
. encourager les bonnes pratiques des médias.

Il est plus spécifiquement demandé à l’UPF de
. initier une formation, pas forcément pour les journalistes, mais pour les managers de presse, comment avoir accès aux outils de gestion, comment gérer une rédaction, quels rapports avec son directeur de la publication,
. aider à la rédaction d’une convention collective, d’un code de déontologie,
. créer un prix UPF de la meilleure enquête, pour rappeler que l’on exerce ce métier parce que l’on croit à des valeurs. Un rappel qui pourrait être la meilleure des barrières contre la corruption.

« Enseigner aux journalistes la valeur de la dignité parce que la main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne. Quant on dit merci, on perd un peu de sa dignité et donc sa crédibilité. Amener les journalistes à être beaucoup plus dignes, à prendre leur métier au sérieux et à ne pas se vendre à n’importe quel prix. »

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Atelier

MUTATIONS TECHNOLOGIQUES : UN ATOUT OU UN HANDICAP ?

Incontournables, les mutations technologiques sont à considérer comme une opportunité et non comme une menace.

Elles génèrent, cependant, d’abord des handicaps.

Sur le plan humain, le métier de journaliste est stressant, fatiguant et parfois dangereux, cela se ressent encore plus dans la presse électronique que dans les médias traditionnels parce qu’il faut être constamment à l’affut et s’adapter à la rapidité du net qui fournit l’information en temps réel y compris pour la radio et la presse écrite. Les médias électroniques sont également souvent lancés avec des moyens limités en terme de compétences humaines et aussi de moyens matériels.

Les mutations technologiques imposent ensuite de s’adapter à de nouveaux codes et de nouvelles réalités. Les principaux fournisseurs d’information ne sont plus les acteurs classiques, le nombre de sources explose avec le risque de leur manipulation. Les codes, ou les habitudes, changent dans la manière de consommer l’information mais aussi dans la manière de la produire : l’écriture journalistique change. C’est un outil de jeunes qui défie les médias traditionnels, en particulier avec les informations disponibles sur le mobile. On constate, en particulier dans le sud, que les journalistes ne maitrisent pas les comportements de ces consommateurs. Chacun peut être producteur d’information avec le risque de favoriser la rumeur, de créer une confusion entre l’information vraie et la fausse, entre le mensonge et la vérité.

On peut craindre encore la disparition de médias traditionnels comme les médias communautaires qui garantissent le lien social et favorisent l’émergence de la citoyenneté. En permettant l’anonymat, les nouvelles technologies permette une parole décomplexée, notamment la manifestation du racisme. Enfin, le contrôle des supports, sur les plans financiers et juridiques, n’est pas assuré.

Une troisième série de handicaps est liée à cette économie mondialisée qui fragilise certaines communautés. Il y a uniformisation et universalisation des langages, y compris avec l’implication des fournisseurs dans les contenus. Si elles ouvrent à l’international, ces technologies peuvent provoquer l’éloignement des proches, la création d’une petite caste de nouveaux riches, l’accaparement de la publicité. Les investissements se font essentiellement dans les technologies et très peu dans l’humain.

Les atouts des nouvelles technologies. La collecte de l’information, à partir d’une grande variété des sources, une richesse dans ce cas et non plus un handicap, est facilitée, de même que son partage et sa diffusion. Elles sont adaptées à des publics jeunes, offrent la possibilité de développer des applications permettant d’utiliser les réseaux sociaux comme des médias sociaux participatifs, elles facilitent l’accès aux programmes radios, à la téléphonie et à la messagerie mondiale. Pour des mondes éclatés, l’offre numérique radio-tv-web permet une relation au public et la prise en compte des diasporas, de partager l’information entre ceux et celles qui étaient transparents. Elles peuvent favoriser la pluralité des opinions.

Pour nous professionnels, les nouvelles technologies imposent des exigences. Nous devons nous adapter, nous réajuster mais résister par l’application stricte de nos règles, ne publier une information qu’après vérification et réassurer la confiance de nos lecteurs ou auditeurs. Il importe encore de revoir le processus de validation de l’information, avec de nouvelles procédures, de faire comprendre à l’auditeur ou au lecteur qui il écoute ou lit. Le journaliste qui intervient sur Facebook ou Twitter doit signer, indiquer pour quel média il travaille, donner sa biographie. Les journalistes doivent également être formés aux nouveaux médias, devenir de vrais journalistes multimédias et pourquoi pas, selon l’idée un peu subversive émanant de l’atelier, demander aux jeunes, qui se présentent comme des champions des technologies de l’information, de devenir nos enseignants.

L’éthique et la déontologie ne changent donc pas, elles offrent des repères et apportent la valeur ajoutée au travail des journalistes.

Quelques points relevés au cours des débats.

D’abord la querelle des anciens et des modernes : quid des journaux ? Des expériences montrent la nécessité de contextualiser pour utiliser au mieux, et selon leurs besoins, les différents types de médias à proposer aux communautés auxquelles nous nous adressons.

Autre querelle, entre ceux qui ont accès et ceux qui sont des info-pauvres. Les questions de l’accès et de la production des contenus, des langues d’internet et des réseaux sociaux sont essentielles.

Au bout du compte, qui a besoin de tout savoir, tout le temps ? Pensées en termes de création de lien, les technologies sont des opportunités mais c’est l’humain qui leur donne du sens et ce, même à l’heure des robots.

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Atelier

EDUCATION AUX MEDIAS

Un double constat paradoxal : il n’est pas facile d’admettre que, face aux urgences que rencontre le monde des médias et celui de l’éducation, l’éducation aux médias est une priorité. Parce que lorsque l’on se bat pour la liberté d’expression et exister dans son métier, quand on se bat en tant qu’éducateur pour simplement apprendre à lire et à écrire, comment demander d’ajouter à ces missions premières celle de l’éducation aux médias. Dans le même temps, nous partageons tous la conviction que la question de l’éducation aux médias et à l’information est une nécessité absolue, encore plus à l’heure où l’information échappe de plus en plus au cycle de production qui était le nôtre avant, lorsque les journalistes pouvaient prétendre qu’ils faisaient connaître les informations, à la différence de ce qui se fait aujourd’hui, de façon horizontale, avec les réseaux sociaux.
Une priorité absolue pour des raisons d’intérêts bien compris des journalistes et des éditeurs. On le sait depuis des années, garder le contact avec son jeune public, faire en sorte que de nouvelles générations aient le gout de s’informer sur une radio, une télé, un site ou achète le journal, c’est aussi une priorité démocratique car comment fabriquer un citoyen, lui permettre de se forger son opinion si on le lui apprend pas à s’informer.
Apprendre à s’informer, ce n’est pas naturel comme respirer. Il y a une grammaire médiatique, une grammaire de l’image, pour essayer de comprendre comment a été fabriquée la Une du journal ou une vidéo. Fabriquer le citoyen de demain nécessite d’apprendre cette grammaire et c’est le rôle des journalistes, aux cotés des éditeurs et des éducateurs.

Qui sont les acteurs ? Oui, les journalistes sont impliqués dans ce combat et il leur appartient, en plus de leur devoir d’informer, de participer à l’éducation de leur public. Les éditeurs, les patrons de presse également. Mais aussi les éducateurs, avec une interrogation : l’éducation aux médias doit-elle être réservée au seul champ scolaire même si c’est là que le public est le plus facile à toucher ? Nous devons travailler avec l’ensemble des publics, dans les bibliothèques, les médiathèques, les hôpitaux et pourquoi pas en milieu carcéral comme certaines expériences faites en France.
Et surtout mobiliser les parents et les familles. Car, comment imaginer convaincre un gamin de 12 ans qui, baigné de thèses complotistes, pense qu’il n’y a pas eu d’attentat à Washington ni d’assassinat de caricaturistes à Paris parce qu’on lui a dit sur des sites, comment penser qu’on va l’aider à prendre le chemin de déconstruction de ces théories si, dans son environnement familial, on n’en partage pas la nécessité ?

Comment faire ? Si c’est uniquement pour qu’un journaliste vienne pérorer et faire le beau dans une classe, cela n’a aucun sens. Il faut y aller avec beaucoup d’humilité, accepter de remettre en cause ses méthodes de travail ou de dire que les journalistes ne font pas toujours bien, afin de regagner cette confiance sans laquelle il ne peut y avoir d’éducations aux médias. Il faut ensuite apprendre à faire : toutes les initiatives de journaux lycéens, ne serait-ce qu’un petit bulletin, une radio ou la production d’une vidéo avec un smartphone , autant de moyens pour mettre le jeune public en face des questions que pose la fabrication de l’information. Et cela dans tous les lieux, collèges, lycées, maisons de jeunes ou d’éducation populaire.

Les outils ? Peu de concrets existent, même si l’UNESCO peut en mettre à disposition. Il y a encore une difficulté extrême pour les journalistes à intervenir sur les réseaux sociaux pour concurrencer la théorie du complot sans apparaître comme des gens qui viennent faire de la contre-propagande face à une propagande.

Recommandation à l’UPF : peut-elle sensibiliser tous les acteurs pour qu’ils se saisissent de cette question et pour inciter l’action publique, c’est à dire les ministères de l’Education nationale ou de la Culture des pays concernés, à se mobiliser et à la prendre à leur charge. En France, le CLEMI, la structure qui dépend du ministère de l’Education nationale, résulte il y a vingt sept ans, d’une initiative, d’une exigence des éditeurs et des journalistes. D’une manière plus visible qu’actuellement, l’UPF pourrait faire valoir que cela fait partie de ses missions à la fois éditoriales et surtout démocratiques de se mobiliser pour l’éducation de nos concitoyens à l’information.