Afrique francophone : Cyberactivisme et sondage en ligne

jan 06, 2019

Les cybercitoyens, jeunes la plupart, ne sont plus « conformistes » comme l’étaient leurs parents. Ils s’informent d’une autre manière et suivent d’autres règles culturelles. En effet, leur nouvelle conscience citoyenne, c’est-à-dire l’omniprésence de la politique dans leur quotidien et l’implication que cela sous-tend, s’observent en partie par le recours au cyberactivisme.

Par ODOME ANGONE*

 

Si les sondages virtuels sont un indicateur de popularité bien que discutable quelquefois, ils sont au moins le signe d’une vitalité démocratique dans un pays où la pluralité des partis et des leaders politiques suppose aussi une diversité d’offres. C’est pourquoi en l’absence d’une liberté d’expression décentralisée et départie, c’est-à-dire non régulée par des pactes politiques où un Conseil National de la Communication ne serait pas qu’une figuration institutionnelle mais jouerait son véritable rôle, les réseaux en ligne, symboles d’une nouvelle espérance, sont devenus aussi des organes de régulation et de suppléance qui obligent ces institutions endormies dans une inertie pandémique à réagir. En outre, ils obligent aussi, d’une part, les politiques à se remettre en question et, d’autre part, les citoyens à faire leur autocritique en sachant ce que pensent les concitoyens. Ce qui génère une sorte de transparence collective, car on sait ce que tout le monde pense. À cet effet Patrick Etong Oveng, consommateur de réseaux en ligne et Consultant International en Communication pour le Développement (Dev com ou C4D en anglais)[1] pense que dans des pays où il n’existe pas de moyens de sondages et d’analyses d’opinions, les réseaux sociaux peuvent représenter une base d’analyse pour l’élaboration de véritables stratégies de développement. Ils offrent une opportunité de collecte d’informations, de capturer les défis et les ambitions portés par des milliers de jeunes, une véritable base de travail pour les responsables avertis.

Regarder, entendre, écouter avec du recul ce foisonnement d’énergie doit permettre de bâtir des ambitions nationales en capitalisant l’apport des réseaux et réorienter cette puissance énergie de manière appropriée et efficace au service du progrès. En outre, le cyberespace nous démontre que les Jeunes sont les principaux utilisateurs de ces nouveaux médias, leurs capacités d’apprentissage et d’appropriation des nouvelles technologies est la preuve de leur disposition à comprendre à s’adapter quand c’est utile et nécessaire. Ces jeunes représentent l’avenir. Les politiques avisés, soucieux de construire les bases d’un développement réel ont là un puissant instrument capable de compléter leurs analyses et comprendre les dynamiques sociales en jeux, afin de concevoir des solutions adaptées de progrès et de prospective.

Les réseaux seraient peut-être moins influents dans un contexte où le paysage politique présentait des partis hégémoniques soudés et scellés parce que le résultat serait alors prévisible et monotone s’alternant entre l’un ou l’autre candidat. Mais ce n’est pas toujours le cas en Afrique subsaharienne, avec une population jeune, moins idéologique, nous sommes face à un paysage incertain et aléatoire, dans un chaos producteur de sens où toutes les probabilités sont sur la table, y compris les moins insoupçonnées. Séduire la jeunesse, principal votant, constitue un véritable casse-tête de l’électorat d’un pays, ce qui en fait une bataille constante pour plusieurs raisons. D’abord, cet électeur détient l’essentiel des votes en termes de proportionnel démographique. Ensuite, il est très indécis parce qu’il est moins idéologique face à des partis politiques qui ne le représentent pas suffisamment et dont il constate l’évident décalage à cause de la vacuité d’une offre politique sclérosée. Ce votant est cependant très convoité, il a généralement entre 18 et 30 ans, soit l’équivalent de la frange de la population majoritaire. Ce n’est pas un conservateur oligarchique, au contraire il est transgresseur et anticonformiste, issu souvent des quartiers populaires, il est changeant, préfère être séduit par le charisme d’un candidat au détriment d’une assignation politique. De ce fait, pour mieux le cerner, les nouvelles formations tentent de s’éloigner des positionnements traditionnels en insistant sur des propositions transversales où la mutualisation des forces offre de nouvelles alternatives de gouvernement pour moderniser et régénérer non pas le jeu mais l’enjeu politique.

C’est donc de la construction d’un nouveau schéma de positionnement dont il est question, ce qui est différent des modèles antérieurs. Il ne s’agira plus de catégorisation superposée ou hiérarchisée, mais de mutualisation « idéologique » parce que désormais tous les modèles se (pré)valent. Après tout cela, il est possible de dresser une sorte de cartographie des différentes tendances électorales apprivoisées dans certains pays francophones par l’électorat jeune sous le prisme de sa nouvelle conscience cybercitoyenne. Même si les coups d’Etat électoraux sont légion et que les scrutins sont emmaillés d’irrégularités, la jeunesse opte généralement pour un leader charismatique pouvant conduire le pays vers un projet national, républicain et fédérateur à travers une réforme constitutionnelle profonde. Les coalitions, pactes, alliances et consensus entre les principaux leaders de ‘l’opposition’ et la société civile permettent souvent de minimiser les risques « inévitables » de fraudes et de division de l’électorat. Enfin, cet électorat demeure profondément indigné contre les coups d’État électoraux. Généralement elle s’organise des mouvements de cyber-résistances relayés, organisés et étalés dans le temps.

En effet, les cybercitoyens, jeunes pour la plupart, ne sont plus des citoyens « conformistes » comme l’étaient leurs parents. Ils s’informent d’une autre manière et suivent d’autres règles culturelles, moins dogmatiques, moins idéologiques et dont le cyberespace constitue le principal abreuvoir, mais aussi le plus grand exutoire. La majorité de ces jeunes -dont l’âge varie entre 14 et 40 ans- est très (ré)active sur les réseaux en ligne et s’informe donc via Internet en général.[2] Et c’est justement cette nouvelle sémiologie numérisée du discours, dé-partagée entre ‘virtualité’ et ‘réalité’ qui constitue l’élément le plus innovateur dans la nouvelle façon de faire la politique.[3] Car ces nouveaux citoyens ne sont plus disposés manifestement à déléguer leur voix et leurs droits exclusivement aux partis politiques comme ce fut majoritairement le cas dans les dernières décennies. De plus, la société civile a recouvré une autonomie qui est en train de tout révolutionner avec une capacité de mobilisation autre, par voies/voix de contournement et sans frontière(s). En effet l’hyper-politisation des jeunes, leur nouvelle conscience citoyenne, c’est-à-dire l’omniprésence de la politique dans leur quotidien et l’implication que cela sous-tend, s’observent en partie par le recours au cyberactivisme. Ce n’est donc pas fortuit si Stéphane Nzeng, un cyberactiviste gabonais basé en France, déclarait sarcastique courant mai 2018 sur sa page Facebook : “L’ancienne génération n’a pas pris le tournant numérique. Ils ont une vision dépassée d’Internet, ce qu’ils appellent les claviers. Même si internet ne fait pas tout, ils oublient qu’Internet est la continuité du monde réel qui démultiplie le champ des possibles : Google, Facebook, Whatsapp, des mastodontes de l’économie mondiale sont des géants du numérique.

Les révolutions des 20 dernières années ont été possibles grâce à internet. Snowden, Assange, Mediapart, et la plupart des contrepouvoirs actuels ne sont possibles que grâce à internet. Le printemps arabe a démarré puis s’est structuré sur internet. Pire, ils viennent dire qu’Internet ne sert à rien sur internet. Internet ne fait pas tout, mais internet est aujourd’hui le plus grand contrepouvoir des dictatures. Au Gabon nous avons levé des fonds et soutenu différentes causes, sur internet, sans jamais pénétrer le territoire gabonais. Il faut donc tordre le coup à cette opposition malsaine entre “le terrain” et internet, comme si internet n’était pas une prolongation puissante du terrain. Ramener les évènements d’août 2016 a une banale question de votes, parce qu’on veut amener les gens à accepter les législatives, c’est vraiment manquer de conscience politico-sociale. Des gens sont morts, d’autres sont traumatisés à vie, d’autres encore ont tout perdu, que dire des familles.

Dire l’élection présidentielle est derrière nous avec autant de légèreté juste pour que les gens se tournent vers les législatives, c’est machiavélique et très agressif”… Pourquoi prendre la parole ? Pourquoi s’exprimer en son nom ? Comme collectif ou individu, la prise de parole relance la question du pouvoir tant de sa négociation que de sa (mé)prise : se dire, se nommer ou se scénariser par le truchement des plateformes de microblogging comme Facebook, c’est manifester le désir d’une quête, d’une conquête voire d’une reconquête du pouvoir par les minorisés. C’est aussi faire respecter une humanité plurielle, polyphonique empreinte de singularités pour une représentativité sans exclusive. Se dire ou se nommer à travers la micromessagerie qu’autorisent l’attractivité, l’inventivité, la créativité, l’interactivité et/ou l’interopérabilité des ‘nouvelles utopies territoriales de la contestation’ c’est recourir, par voie de contournement, à une stratégie émancipatrice et féconde d’auto-visibilité/vibilisation, ‘d’auto-catégorisation’, d’autoreprésentation, d’autolégitimation pour s’inscrire au sein de la psyché collective. Le discours de soi à travers le cyberespace investit, enrichit l’économie d’une grammaire politique où l’acte d’individuation ambitionne d’habiter l’imaginaire du territoire-cible. Se nommer ou se dire ici est une forme de résistance à la dissolution, c’est dire le monde et ses modes, c’est s’offrir une piste, accéder à l’épaisseur humaine, recouvrer sa dignité, commencer à exister autrement que comme des éléments pittoresques d’un récit taillé sur mesure. Bref se nommer c’est se réhabiliter, exhumer une réalité refoulée par des dispositifs de domination. En l’absence d’un vrai dialogue social, se dire est un apaisement de l’entre-soi. Au bout du compte, ce ne serait pas illusoire que de voir en l’auto-narration l’interface d’une thérapie, d’un refuge, d’une échappatoire, d’un exutoire, d’un défouloir, d’une consolation, d’un effet placebo pour soulager le malaise qui parcourt les cybercitoyens en quête d’attention, de légitimation et de reconnaissance dans les territoires concernés.

En rébellion contre l’outrecuidance pandémique, l’indifférence chronique, la cécité cynique et l’inertie apoplexique des institutions en vigueur, les cyberactivistes s’enlisent dans une conscientisation radicale frisant un extrémisme violent dont nous voyons les ravages à travers leurs différentes formes de manifestations chaque jour via les réseaux en ligne. [1] Il s'agit d'une Communication Pratique appliquée aux problématiques de développement (programmes, projets et solutions de communication pour optimiser la mise en œuvre et l’impact). [2] La fin des monopoles d’Etat s’est soldée progressivement par la libéralisation du secteur des télécommunications, l’avènement du Web 2.0 et la vulgarisation des smartphones. Ces facteurs ont favorisé une courbe ascendante dans la massification des flux numériques ainsi que l’optimisation des usages d’Internet et des réseaux sociaux. [3] Cette situation soulève de nouvelles problématiques dont les multiples revers se situent dans une performance empreinte d’hyper-virtualisation du/de la politique tributaire non seulement d’une hyper-dépendance aux réseaux en ligne, d’une hyper-sociabilisation vis-à-vis des dirigeants et entre internautes (= e.citoyens) mais aussi d’une hyper-visibilité, d’une hyper-représentation et hyper-exhibition de soi au risque de la dépossession (voire de l’auto-fictionnalisation = dédoublement de soi) et même d’une hyper-transparence vis-à-vis des autres. Cela peut conduire à la banalisation, allant jusqu’à la théâtralisation ou ‘frivolisation’ du sujet/débat politique.

Source : Mediapart