Soigner la francophonie

mai 03, 2021

Coopération, solidarité et sécurité doivent être mis à l'ordre du jour dans les pays francophones.

Par MARIE-JOËLLE ZAHAR
DIRECTRICE SCIENTIFIQUE, FORUM ST-LAURENT SUR LA SÉCURITÉ INTERNATIONALE, ET TROIS AUTRES SIGNATAIRES*

S’il est un miroir de la complexité des défis sécuritaires et de l’impact de la crise de l’ordre mondial sur les pays fragiles, c’est à l’espace francophone que revient cet honneur insigne. L’espace francophone va, dans l’ensemble, plutôt mal.

Le Sahel s’enfonce dans une crise sécuritaire et humanitaire ; le Liban vit une crise politique et économique sans précédent. Déjà pauvres et fragiles, Haïti et la République démocratique du Congo seront parmi les derniers servis en vaccins contre la COVID-19. Des pays qui avaient plutôt tiré leur épingle du jeu ces dernières années, comme le Maroc ou la Côte d’Ivoire, risquent d’être frappés de plein fouet par les perturbations économiques de l’après-COVID.

Bien sûr, les pays francophones ne sont pas les seuls à souffrir de l’instabilité et il n’y a pas lieu de croire que l’Organisation internationale de la francophonie y soit pour quelque chose. Il est toutefois frappant de constater comment cet espace concentre les défis qui se posent à la gouvernance mondiale – et peut-être aussi les solutions.

Un premier défi : les problèmes de la coopération multilatérale.

Fort abîmé pendant les années Trump, le multilatéralisme a du mal à intégrer les rivalités croissantes entre les États-Unis et la Chine, d’une part, et entre l’Europe et la Russie, d’autre part.

Au-delà du risque qu’elles font peser sur la stabilité mondiale, ces rivalités mettent à mal les tentatives de résolution des conflits et de gestion de l’insécurité, notamment portées par des pays francophones (au premier rang desquels la France) dans d’autres pays francophones (la République centrafricaine ou encore les pays du Sahel).

Autre défi : la coexistence d’une mondialisation qui a finalement peu souffert de la crise avec un nationalisme de plus en plus assumé. Le patriotisme vaccinal, poussé à l’extrême par les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël, illustre cette politique qui mène à privilégier sa propre population au détriment de l’intérêt mondial. On pourrait espérer que les pays francophones, notamment ceux du Nord, soient au premier rang pour défendre l’initiative Covax, comme ils devraient se préoccuper des conséquences de la fermeture de leurs frontières sur les mobilités francophones. On pourrait également espérer que leurs politiques d’aide internationale soient à la hauteur des défis qui se profilent à l’horizon pour les États du Sud global.

Finalement, la question des inégalités et de la justice. Celle-ci a été mise en relief par le grand confinement, qui a stoppé net le rattrapage effectué depuis quelques années par les pays du Sud global, tout en accentuant les vulnérabilités, notamment celles des femmes et des groupes minoritaires, au sein de tous les pays.

Le Liban est en train de devenir un cas d’école de systèmes politiques dont le caractère injuste est accentué à la fois par la crise pandémique et par les dynamiques internationales, qu’elles soient économiques ou sécuritaires.

À ceux qui argumentent qu’il ne s’agit pas de priorités pour le Québec et le Canada, il suffit de rappeler la grande leçon de la pandémie. Notre monde est inextricablement interconnecté et les problèmes des autres deviendront, plus tôt que tard, les nôtres. Face à ces défis, le Québec et le Canada ont des atouts, mais aussi des responsabilités. Ils ne peuvent évidemment apporter seuls des réponses. D’où l’importance de redynamiser les liens politiques dans l’espace francophone.

Cette redynamisation devrait s’appuyer sur trois principes : la coopération, notamment sur les questions scientifiques, mais également économiques, fiscales et sécuritaires qui appellent des réponses globales ; la solidarité, afin d’assurer de contenir, voire diminuer les inégalités et les vulnérabilités ; et la communauté de destin, pour que la francophonie devienne l’expression d’une véritable identité politique susceptible de sous-tendre des mécanismes de coopération et de solidarité tangibles et considérés comme légitimes.

*Cosignataires : Frédéric Mérand, directeur scientifique du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal ; Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, UQAM ; Philippe Bourbeau, directeur de l’École supérieure d’études internationales, Université Laval

1 La sixième édition du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale, intitulée « De l’instabilité à la coopération mondiale : solutions pour une nouvelle décennie », organisée en ligne du 3 au 7 mai.

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