« J’suis snob »
Les Français seraient-ils les pires élèves de la francophonie ? Mieux vaut avoir réussi son TOEIC que le bac pour comprendre ce qu’écrivent et ce que disent certains confrères.
«J’suis snob. Je m’appelle Richard, on dit Bob » chantait autrefois Boris Vian. Émailler ses propos ou ses papiers de mots anglais – alors que leur équivalent existe depuis toujours dans le vocabulaire français – est du dernier snobisme.
Récemment, une syndicaliste était saluée par des collègues pour sa pratique du «manterrupting* » ; elle n’avait pas hésité – fort justement – à répondre du tac au tac à un ministre (je suppose que le «womanterrupting» est beaucoup moins féministement correct).
Quant à une consœur de la télévision jugée un peu trop complaisante pendant une intervention présidentielle, elle aurait fait preuve de «trending» ; je n’ai toujours pas compris si c’était un compliment ou un reproche.
A propos de ce président, un grand quotidien du matin révèle que son entourage souhaite un «wake up call» face à LA covid (puisque l’académie française a «genré» le virus au féminin).
Par ailleurs, j’ai écouté avec le plus grand intérêt, un reportage à la radio sur une nouvelle fonction, dans les entreprises, celle de «chief happiness officier», CHO pour les intimes.
- «Chef happiness, s’il vous plaît, une augmentation de salaire me ferait tellement plaisir».
- « Adressez-vous à la DHR, c’est elle qui gère les relations humaines ».
- « Mille merci, chef happpiness, votre réponse suffit à mon bonheur ».
- « My pleasure ».
Enfin, quelqu’un ou quelqu’une qui va veiller à ce que tout le monde soit heureux !
Ce n’est pas une «fake news». Tout aussi authentique est cette information scientifico-culinaire sur les «fake-steaks» à base de fibres musculaires cultivées «in vitro» et colorées par du jus de betterave. Las, une étude menée par l’université d’Oxford démontre que cette «clean meat» qui prétend échapper à la pollution des élevages industriels serait encore très productrice de CO2, et donc davantage néfaste pour la planète que les pets méthaniques des vaches.
Bon, si je ne suis pas content, je peux toujours me consoler avec ma console. Mon «news magazine» préféré vient, en effet, de m’apprendre que, désormais, les jeux vidéos vont se dématérialiser dans le «cloudgaming».
Pour être franc (et parlez français), entre les «greenwashing», «upcycling» et autres polémiques sur le «top crop» qui fleurissent dans les colonnes de nos journaux, je craque. Au secours, help ! Trop, c’est too much !
Mais, j’ai tout de même été content que des âmes innocentes n’ont, sans doute, pas su traduire cette information reçue sur mon «smartphone» : «la Finlande veut pénaliser l’envoi de «dick pics» non sollicités». Cacher ce p… que je saurais voir». Ils ont bien fait de ne pas utiliser la langue de Molière.
* A vos dictionnaires ! Ce qui me donne l’occasion de rendre hommage au linguiste Alain Rey, figure tutélaire des dictionnaires Robert, disparu fin octobre. «La langue française, disait-il, est notre bien commun, notre maison, il suffit de la mieux connaître pour l’aimer». Il la défendait non pas comme une langue repliée sur elle-même mais comme une langue vivante qui sait évoluer et s’adapter : «Les mots, comme les êtres et les groupes humains, voyagent, se déplacent, émigrent et immigrent, avec des fortunes diverses». Le monde francophone en est le témoignage.