Grèce : une journaliste néerlandaise arrêtée pour avoir hébergé un migrant afghan

juin 24, 2021

Spécialiste des questions d’immigration, Ingeborg Beugel a été arrêtée et poursuivie pour facilitation au séjour illégal d’un jeune Afghan de 23 ans qu’elle héberge sur l’île d’Hydra, où elle vit depuis quarante ans.

La journaliste néerlandaise Ingeborg Beugel, correspondante en Grèce pour de nombreux médias hollandais, est encore sous le choc. Le 13 juin, elle a été arrêtée sur l’île d’Hydra où elle vit depuis près de 40 ans. Après une nuit dans la cellule du commissariat, elle est emmenée, menottée, au tribunal du Pirée, à Athènes, avant d’être libérée. Sauf qu’elle est depuis poursuivie pour «facilitation au séjour illégal d’un ressortissant de pays tiers», un délit passible en Grèce d’au moins un an de prison et d’une amende d’au moins 5 000 euros. Sa faute ? Héberger Fridoon, un jeune migrant de 23 ans, originaire d’Afghanistan.

La journaliste a rencontré ce jeune homme en décembre 2018 alors qu’elle tournait un documentaire sur le camp de Malakassa, à une quarantaine de kilomètres de la capitale grecque. Multilingue, cet Afghan lui sert de traducteur dans ce lieu où le désarroi et les violences se côtoient au quotidien. Le jour où Fridoon se fait attaquer par des résidents du camp, la journaliste lui propose de l’héberger chez elle à Hydra. Il fait les démarches auprès des autorités grecques pour obtenir le statut de réfugié. Mais sur l’île, certains semblent ne pas voir d’un bon œil l’arrivée du jeune homme. Le 13 juin, il est arrêté… Et c’est en allant le chercher au commissariat qu’Ingeborg Beugel est, à son tour, appréhendée. Il y aurait eu des «plaintes anonymes» contre elle.

Pourtant, en Grèce, un mot circule beaucoup : «philoxenia», l’hospitalité et l’amitié pour les étrangers. Que se passe-t-il donc pour que cette notion soit aujourd’hui malmenée ? Depuis l’arrivée du gouvernement de Nouvelle Démocratie (droite) mené par Kyriakos Mitsotakis, le ton s’est particulièrement durci sur le plan migratoire : des centres de détention fermés doivent être construits sur les îles, les lieux d’hébergement associatifs ont été fermés manu militari, un mur est érigé à la frontière nord, au fleuve Evros, où ont également été positionnés des canons sonores…

Le sort réservé aux journalistes s’est, lui aussi, dégradé. L’ONG RSF a d’ailleurs rétrogradé la Grèce de la 65e à la 70e place dans son classement de 2020 sur la liberté de la presse. Ingeborg Beugel n’a jamais hésité à mener des enquêtes de fond, notamment sur la gestion des déchets ou les questions migratoires, loin de la communication gouvernementale. «Ça devient plus difficile d’être journaliste dans ce pays, confie-t-elle à Libération. Ces appels anonymes me rappellent les heures les plus sombres de la Hollande quand les collaborateurs nazis néerlandais dénonçaient leurs compatriotes qui cachaient des Juifs dans leurs maisons, et qui l’ont payé de leur vie.» L’intimidation, à tout le moins, semble de mise pour tenter de faire taire Ingeborg Beugel et partant, envoyer un signal à ses collègues. Après avoir durci ouvertement le ton sur sa politique migratoire, le gouvernement cible les journalistes.

Libération