Ouzbékistan : un blogueur indépendant condamné à trois ans d’assignation à résidence

jan 26, 2022

Miraziz Bazarov a été condamné à trois ans de restriction de liberté pour diffamation. Critique du président Chavkat Mirzioïev et partisan des droits LGBTQI, le blogueur ouzbek avait été attaqué à coups de batte de baseball par des inconnus en mars 2021 et grièvement blessé.

Le verdict est tombé au deuxième jour du procès. Un tribunal pénal de Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan, a déclaré le célèbre blogueur Miraziz Bazarov coupable le 21 janvier dernier de “diffamation via Internet pour des motifs odieux et égoïstes”. Comme le rapporte le média ouzbek Gazeta.uz, le blogueur a écopé de la peine maximale autorisée pour ce type de délit, à savoir trois ans de restriction de liberté.

Miraziz Bazarov devra purger le reste de sa peine, soit deux ans et quatre mois, sous la forme d’une assignation à résidence. Il était déjà sous le coup d’une telle mesure depuis fin avril 2021, comme l’avait rapporté Radio Ozodlik, la branche ouzbèke du média américain Radio Free Europe. Ce temps sera déduit de sa peine totale.

Comme la mère du blogueur l’a indiqué au média russe Fergana News, le jugement implique l’interdiction d’utiliser Internet et de travailler comme psychologue. Il lui est également interdit de se rendre dans des manifestations publiques, des cafés et des restaurants. Il n’est pas autorisé à consommer des boissons alcoolisées et doit rester chez lui de 20 heures à 8 heures du matin.

L’avocat de Miraziz Bazarov, Sergueï Mayorov, a qualifié d’injuste le jugement prononcé contre son client. “Formellement, le tribunal a agi en accord avec notre législation, mais bien sûr, c’est un tribunal partial et c’est l’accomplissement de la volonté de l’Etat”, a déclaré l’avocat à Radio Ozodlik. Il veut conseiller à son client de faire appel de la décision.

Un critique connu

Miraziz Bazarov a surtout été connu pour son canal Telegram et son compte sur TikTok. Dans ses messages, il a notamment critiqué le président ouzbek Chavkat Mirzioïev et appelé au boycott de l’élection présidentielle d’octobre dernier. En outre, le blogueur est connu pour son engagement en faveur des droits des homosexuels. Miraziz Bazarov considère que cela fait partie des libertés individuelles, comme l’a évoqué Radio Free Europe, et insiste sur le fait qu’il n’est pas un militant LGBTQI, mais qu’il défend la vie privée des individus. En Ouzbékistan, les relations homosexuelles entre hommes sont passibles de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans, relaie l’ONG britannique Open Democracy.

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Le soir du 28 mars 2021, Miraziz Bazarov a été grièvement blessé par des inconnus qui l’ont attaqué en pleine rue avec des battes de baseball. Le blogueur a été hospitalisé avec une fracture ouverte de la jambe, un traumatisme crânien et des contusions.

Le même jour, Miraziz Bazarov avait invité les amateurs d’animé et de K-pop à se rassembler dans le centre de Tachkent. Mais l’événement a dû être annulé en raison d’une manifestation non autorisée organisée à l’encontre des militants LGBTQI. Le lien avec l’agression ultérieure de Miraziz Bazarov n’est pour l’heure pas formellement établi. Les auteurs n’ont pas été arrêtés à ce jour.

Comme le rapporte Gazeta.uz, le ministère de l’Intérieur ouzbek a ensuite publié une vidéo dans laquelle le blogueur est indirectement tenu pour responsable des manifestations anti-LGBTQI. “Miraziz Bazarov a démontré à plusieurs reprises son comportement dépravé, son mépris délibéré des règles de conduite en société et la diffusion de bouffonneries humiliantes, contraires à la culture nationale, sur les réseaux sociaux”, affirme la vidéo.

De l’hôpital à l’assignation à résidence

Après être sorti de l’hôpital le 29 avril, après plus d’un mois d’hospitalisation, Miraziz Bazarov a été placé directement en résidence surveillée par “mesure préventive”, d’où il n’a été libéré que peu avant l’ouverture de son procès, après plusieurs prolongations, décrit Fergana News. Selon Radio Ozodlik, la police de Tachkent a déclaré avoir reçu du 1er au 20 avril un total de 28 demandes de citoyens, ainsi qu’une demande collective du personnel enseignant d’une école, demandant une action en justice contre le blogueur. Les enseignants se sont sentis offensés par une vidéo de Miraziz Bazarov datant d’octobre 2020, dans laquelle il disait que l’école était un lieu “où les vieux esclaves et les ratés apprennent aux enfants à être des esclaves et des ratés”.

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Comme l’a rapporté Radio Ozodlik le 14 mai 2021, les accusations de trois blogueurs sont venues s’ajouter à ces reproches. Miraziz Bazarov les avait accusés de harcèlement moral avant l’attaque. Il aurait “reçu des centaines de menaces de mort de la part de leurs abonnés en raison de diverses informations calomnieuses diffusées par des blogueurs proches du gouvernement”. Les autorités judiciaires auraient toutefois ignoré les informations qu’il avait fournies sur ces menaces.

Un coup porté à la liberté de la presse

Mais la condamnation du blogueur n’est pas le seul coup porté à la liberté de la presse en Ouzbékistan. Dès le début du procès, le 20 janvier, le tribunal avait clairement indiqué qu’il ne tenait pas à ce que les reportages soient indépendants. Comme l’a rapporté Fergana News, les journalistes n’ont pu assister au procès, déclaré “séance ouverte”, que s’ils pouvaient présenter un test PCR récent. Cette règle ne s’appliquait qu’aux journalistes et n’avait pas été annoncée à l’avance.

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En outre, Sergueï Mayorov a fait savoir que le juge avait interdit à quiconque de diffuser des informations sur le déroulement du procès. “Jusqu’à la fin du procès, aucun commentaire des participants ne peut être publié dans les médias ou diffusé d’une autre manière. C’est pourquoi nous n’avons pas le droit de rendre public ce qui s’est passé pendant le procès”, a expliqué l’avocat de Miraziz Bazarov. Ces informations ont été confirmées par le tribunal à Fergana News.

Malgré une relative libéralisation de la presse après l’arrivée au pouvoir de Chavkat Mirzioïev en décembre 2016, considéré comme un réformateur, les journalistes restent soumis à de fortes pressions politiques dans le pays. En juin 2021, les médias Kun.uz et Azon.uz ont été condamnés à de lourdes amendes pour des articles à contenu religieux. Dans le classement 2021 sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières, l’Ouzbékistan occupe la 157ème place sur 180. Avec la condamnation de Miraziz Bazarov, cette situation ne devrait guère changer en 2022.

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