Plaidoyer pour une langue française libre

aoû 08, 2018

A l’occasion des Ateliers de l’Institut Français au Palais de Tokyo le 18 et 19 juillet, s'est tenu le «procès» de la langue française. Toutes les parties étaient là: l’avocat de la défense, le procureur, la présidente du tribunal, le greffier, les témoins ainsi qu’un jury, composé de personnes choisies au hasard dans la salle. Organisé par le magazine Usbek et Rica, ce tribunal pour les générations futures interrogeait notre capacité collective à promouvoir la langue française et à la réinventer. Compte-rendu d'audience. La langue française est-elle « has been »? C’est à cette question utilisant de manière non dissimulée le franglais comme provocation que les jurés ont dû répondre au Tribunal des générations futures. Cette conférence-spectacle, simulacre de procès avec l'accusation d'une part, la défense de l'autre, a permis au réseau culturel français à l’étranger et à l'Institut français d'échanger de manière ludique, dynamique, en forçant le trait pour mieux faire réagir. Dans son réquisitoire, Alexandre Ziegler, ambassadeur de France en Inde, procureur d’un jour, s'est moqué avec délices des arguments de promotion de la langue française. Il s’est prononcé pour une langue d’autant plus belle qu’elle renoncerait à ses ambitions hégémoniques : «On refuse de se rendre à l'évidence. Notre langue n'est plus la langue de la mondialisation. Alors pourquoi s'évertue-t-on à la défendre avec des arguments caricaturaux, qui sont aussi très souvent arrogants et maladroits ? C'est hypocrite. On serait 500 millions de locuteurs français, bientôt 1 milliard. On nous dit 'Toute l'Afrique parlera bientôt français'. M'enfin ??? L'Afrique est à moitié anglophone !» Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde, à la barre pour répondre aux questions du'procureur' Alexandre Ziegler, ambassadeur de France en Inde.P.Blettery/RFI « Est-ce que vous entendez les Portugais hurler à la mort parce que leur langue est enseignée en LV3 dans nos collèges ?! » Ambassadeur d'Inde, certes, mais futur grand acteur ! La salle était sous le charme. «Pourquoi Leïla Slimani a décidé d'écrire en français plutôt qu'en arabe? Je crois que ces écrivains le font parce qu'ils ont le choix. Ils le font parce que le monde ne s'est jamais pensé en une seule langue ou même en deux. Ils le font parce qu'ils la trouvent belle, parce qu'ils la désirent. Parce qu'elle leur ouvre d'autres portes. Ils ne le font pas sous je ne sais quel diktat économique, politique ou historique et sûrement pas par esprit de résistance». Utilisant les codes d’un véritable procès d’assises, le procureur dans un ultime effet de manche a désigné les vrais coupables: « Mesdames et messieurs les jurés, les vrais 'has been', ce sont ceux qui défendent la langue française avec les arguments d'hier, ce sont ceux qui en font une arme de guerre.»

Le français au contact des autres langues

Citée comme témoin, Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde a tenu à défendre une langue qui ne doit pas s'opposer aux autres : « Pour moi le français, ce n'est jamais 'contre' les autres langues, ou alors c'est 'tout contre' comme le disait Sacha Guitry. A France Médias Monde, nous avons la chance, non seulement de parler 15 langues dont le français, mais d'avoir 66 nationalités représentées. Et cette capacité de se rencontrer, au sein d'une même structure, donne une ouverture d'esprit et une possibilité d'intégrer l'autre comme un autre soi-même...le contraire de la bêtise donc ! » La langue française, ce n'est pas seulement la France, c'est aussi la langue des Africains, des Belges, des Suisses, des Québécois et d'autres Canadiens. Un francophone sur 4 vit dans le monde arabe, a-t-elle rappelé. « C'est cette francophonie-là que j'aime, avec des français différents, avec des accents différents ».

Rap, slam, un souffle nouveau pour la langue française

Ibrahim Bechrouri, docteur en géopolitique, avocat de la défense, a plaidé pour une langue libre de se réinventer, une langue vivante, en constante évolution : « On essaie d'enfermer encore le français dans certains codes. Alors qu'il est tout fait possible de le faire évoluer. Je pense aux rappeurs, aux slameurs, mais aussi aux parlers locaux. Au Maroc, ou au Sénégal, on introduit des mots de français dans le parler de tous les jours. Certains s'en indignent en disant qu'on perd la pureté de la langue de Molière. Je pense au contraire que ce sont ces mélanges-là qui sont intéressants. C'est comme ça qu'une langue vit et respire.»

La France ne peut plus ignorer la francophilie

« Il y a la langue française et il y a les politiques menées pour diffuser la langue française », a bien résumé Hassane Kassi Kouyaté, artiste franco-burkinabé. Le français est une langue d’avenir, souple, élastique, mais bien souvent les politiques de diffusion de la langue française ne sont pas à la hauteur. Hassane Kassi Kouyaté en est persuadé, il y a une francophilie énorme qui n'est pas moins importante que la francophonie. En janvier 2019, Hassane Kassi Kouyaté deviendra le futur directeur du Festival des francophonies en Limousin. Une belle manière d'agir et de promouvoir cette francophonie, car oui, au Japon ou au Vietnam, on écrit aussi en français. Après délibération, les jurés ont rendu leur verdict. L’accusée est ressortie libre. Et si elle n'a pas souhaité comparaître, elle fut le temps de ce procès sur toutes les lèvres ! Source : RFI