Médias: des revues qui racontent l’Afrique avec ses mots

avr 30, 2018

Alors que la presse en ligne explose à travers l’Afrique, les magazines imprimés sur du papier visent à changer le « storytelling » concernant l’Afrique, et à donner un reflet de sa force créative. De la revue Chimurengaau Cap en passant par Kwani ? au Kenya ou Diptyk au Maroc, les publications assoient leur notoriété sur des sujets de société, la littérature et l’art contemporain.
La presse panafricaine et africaine en ligne n’en finit plus d’exploser. Des sites web vont de l’information générale à des approches plus transversales, axées sur la culture pour True Africa, des sujets de sociétés ou des analyses politiques avec Quartz Africa, Africa Check,Africa in Fact ou The Conversation Africa. Ces sites ont développé ces dernières années des rédactions basées à Londres ou Johannesburg, tandis qu’à Paris, les journaux mainstream multiplient les initiatives africaines, avec Le Monde Afrique, Le Point Afrique ou encore Tribune Afrique.
Sur le continent, qui reste l’un des moins connectés du monde, les magazines papier continuent d’essaimer, pour proposer un autre reflet de leurs sociétés. Au Maroc, la revue d’art contemporain Diptyk comble une importante lacune, dans un paysage éditorial marqué par la présence de revues basées en Europe, comme jadis Revue Noire, pionnière lancée en 1991 à Paris, mais aussi IAM Africa, fondée en 2014 à Amsterdam par la photographe camerounaise Angèle Etoundi Essamba, afin de mettre en valeur la création artistique féminine sur le continent et ses diasporas.
Lancé en 2009 à Casablanca par la journaliste Meryem Sebti, le bimestriel Diptyk suit sans complexes cette ligne éditoriale très simple : « L’art vu du Maroc ». Il fait fi des découpages géographiques hérités de la colonisation, avec un regard pointu et professionnel sur l’art qui porte à la fois sur le monde arabe, nord-africain et subsaharien. « Nous avons à cœur, explique Meryam Sebti, de regarder à partir du Maroc l’art produit sur le continent et dans les diasporas, en Europe et aux Amériques, avec les points de convergence et les thèmes communs des artistes, sachant qu’il y a de moins en moins de différence entre leurs pratiques, qu’ils soient au Maroc ou ailleurs. Tous sont préoccupés par les questions d’identité et les contextes sociaux de leurs différents pays ».
Au sommaire du dernier numéro : un dossier sur la première édition africaine de la Foire 1:54qui se déroule après son édition londonienne en octobre à Marrakech, ces 24 et 25 février, un portrait de Daoud Aoulad Siyad, pionnier de la photographie marocaine, ainsi qu’un portfolio d’un jeune artiste marocain, Walid Marfouk, basé à New York. « Nous aimons beaucoup son ironie sur le décorum de la bourgeoisie marocaine, souligne Meryem Sebti. Il a photographié sa tante dans un palais de Marrakech avec un côté canaille et cinématographique ».

Kwani ?, tremplin pour les auteurs au Kenya
Au Kenya, la revue littéraire Kwani ? (« Et alors ? » en langue sheng) a été fondée en 2003 par un collectif d’écrivains mené par Binyavanga Wainaina, également journaliste et consacré par le magazine Time en 2014 parmi les 100 personnalités ayant le plus d’influence dans le monde. Sa question de départ : « Est-ce que Ngugi wa Thiong’o et Meja Mwangi sont les seuls écrivains qui intéressent les éditeurs kényans ? Pourquoi de nouveaux auteurs ne sont-ils pas publiés ? » Réponse : « Certains ont été frustrés de devoir attendre que les éditeurs accusent simplement réception de leur manuscrit, une année étant mentionnée comme la période d’attente fréquente ».
Bien qu’elle ne publie que tous les deux ans, Kwani ? s’est imposée comme une référence, avec ses huit numéros thématiques déjà parus, au design très soigné. Chacun propose 300 pages de fiction et non-fiction (récits de voyage, « nouveau journalisme »), poésie et bande dessinée. Ils ont déjà servi de rampe de lancement à plusieurs auteurs, dont la Kényanne Yvonne Adhiambo Owuor ou encore Billy Kahora, devenu le directeur de la publication. Financée entre autres par la Fondation Ford (Etats-Unis), la revue se vend à travers 65 points de vente au Kenya, ainsi qu’à l’international via le réseau de distribution d’African Books Collective – même si elle reste difficile à trouver à Paris ou Bruxelles.
Chimurenga, un ADN d’activisme en Afrique du Sud
En Afrique du Sud, Chimurenga publie un magazine culte de culture, d’art et de politique, en papier journal grand format. Cette revue cultive avec fierté son indépendance financière, qu’elle considère comme une condition sine qua non de son existence, ce qui n’exclut pas des partenariats avec la coopération suisse et la Fondation Heinrich Boll.
Sous-titrée à partir d’une citation de Fela « Who no know go know » (« Celui qui ne sait pas s’en va savoir »), elle propose depuis 2002 un regard différent sur les actualités du continent. Son premier numéro, épuisé, était titré : « Music is the weapon » (« La musique est l’arme »), avec des textes du grand écrivain sud-africain Njabulo Ndebele sur la chanteuse Brenda Fassie, du rédacteur en chef camerounais de la revue Ntone Edjabe sur Fela, de DJ Spooky sur Coltrane ou encore Henri Kala Lobe sur MC Solaar.
Chimurenga, dont le siège se trouve à l’étage du Panafrican Market, dans le centre-ville du Cap, se conçoit comme une plateforme fondamentalement collective, évolutive et flexible, toujours connectée à son environnement. Elle est devenue au fil des ans une maison d’édition, un laboratoire de recherche, une radio qui diffuse sur Internet (dénommée Pan African Space Station) et un organisateur d’évènements culturels. En décembre à Paris, elle a notamment mené à l’espace La Colonie l’installation « Who Killed Kabila ? » avec huit écrivains congolais, qui ont livré leur version de ce qui reste un mystère complet : les circonstances de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, président de la République démocratique du Congo (RDC), en 2001.
Un état d’esprit d’activiste en constante remise en question et en mutation, tel est l’ADN de Ntone Edjabe et de la revue, qui porte le nom d’un cri de ralliement : Chimurenga, en shona, une langue du Zimbabwe, signifie la « lutte révolutionnaire ». Ni plus, ni moins.
Source : RFI