La chronique de Pierre ganz : Informer sur les maladies mentales

déc 04, 2018

Peu de domaines suscitent autant d’idées reçues que celui de la maladie mentale. Parce qu’il fait de la véracité et de l’exactitude le cœur de son métier, le journaliste doit éviter de les propager.
La maladie mentale fait peur. Elle rompt avec le consensus social de raison et de maîtrise de ses émotions, elle complique les relations humaines en rendant difficile l’identification à l’autre, la compréhension de ses réactions, de ses gestes. Mais elle est une maladie, et ne doit pas être abordée différemment des autres maladies par les journalistes. Le respect de la vie privée - on ne révèle pas une maladie si ce n’est pas une information d’intérêt public - la compassion envers les malades, la recherche d’expertises reconnues pour éclairer le public s’impose là comme pour d’autres pathologies.

Il importe particulièrement de faire attention aux mots employés. ”Dingue”, “barjot”, “taré”, et autres termes familiers ont une résonance péjorative. Ils sont socialement stigmatisant, blessant pour les malades concernés. “Fou” a des sens nombreux - ne parle-t on pas d’amour fou - et “folie” peut indiquer aussi bien le dérèglement mental que la passion ou l’excès conscient. Le public utilise ces mots mais les médias ne devraient pas le faire lorsqu’ils traitent des maladies mentales. Se demander si on ferait la même généralisation ou si on utiliserait les mêmes mots familiers, péjoratifs ou désuets pour parler de personnes atteintes de cancer, d’un accident cérébral ou de pneumonie est une bonne façon d’éviter les dérapages.

Les noms des maladies - autisme, schizophrénie, dépression - ne devraient pas être utilisés dans d’autres contextes que médicaux. Utiliser le nom d’une maladie comme invective ou injure est une pratique ancienne. Si les acteurs du débat public en ont hélas gardé l’habitude, les journalistes devraient s’interdire de le faire: un patron qui refuse de dialoguer n’est pas autiste, un politique qui se contredit n’est pas schizophrène. Ces métaphores plus ou moins maitrisées nourrissent des idées fausses sur ces maladies - et véhiculer des idées fausses n’est pas le rôle des médias.

On évitera aussi d’essentialiser, de réduire les malades à une caractéristique supposée commune, et de désigner quelqu'un par le nom de sa maladie. Surtout, on ne généralisera à tous les malades un cas venu dans l'actualité: si des malades psychiatriques peuvent être violents, ils sont une infime minorité. Selon la Haute Autorité de la Santé française, les personnes atteintes de troubles psychiques sévères ne sont responsables que d’un homicide sur 20; aux Etats Unis, 97 % des actes violents sont commis par des personnes qui ne souffrent d’aucun trouble mental. Affirmer ou même laisser entendre par exemple que les schizophrènes sont dangereux est une erreur factuelle. Et une stigmatisation qui les atteint tous.

On croit souvent savoir ce qu’est la schizophrénie ou la dépression, mais il y a parfois loin du “bon sens” à la définition médicale scientifique. Les journalistes qui traitent des questions médicales doivent connaître les différentes pathologies, leur consacrer des articles comme ils le font sur d'autres pathologies. Les généralistes, et en premier lieu ceux qui traitent les faits divers, peuvent utilement se reporter à différents mémo destinés aux journalistes, comme "Reportage et santé mentale " publié au Canada en 2014 (voir sur le site www.en-tete.ca) ou "Médias et Psychiatrie" récemment édité en France par l'Association des journalistes pour une information responsable en psychiatrie et par l'Observatoire de la Déontologie de l'Information - dont l'UPF est membre (voir ici http://www.odi.media/agenda/vade-mecum-pour-linformation-sur-les-maladie...)

Un reportage ou une enquête sur une maladie doit donner la parole aux malades. Ceux qui souffrent de pathologies psychiatriques peuvent être particulièrement vulnérables. Montrer de l’empathie, laisser s’installer une relation de confiance et s'assurer que son interlocuteur a compris que ses propos seront rendus public (et ne les publier qu'avec son consentement éclairé), sont de bonnes pratiques. Au cours de l'entretien, il faut prendre garde à ne pas insister sur des points douloureux, ni aggraver la situation. Et ne pas hésiter à le reporter si il s'avère que la personne vit un épisode aigu, ou a par exemple perdu contact avec la réalité.

Pierre Ganz