La chronique de Jean Claude Allanic : Oups

mai 27, 2019

Entre mon ordinateur et moi, ça ne peut plus durer. On ne parle pas la même langue. Il me sort parfois des phrases incompréhensibles. Et refuse obstinément de se plier aux règles et usages grammaticaux d’un français basique.
Il faut dire que le malentendu remonte à son achat. Quand j’ai dit au vendeur que je voulais acheter un portable, il m‘a orienté vers le rayon des smartphones. Mais non, c’est un ordinateur portable que je voulais, pas un mobile bien qu’il le soit. Ah, bon, un laptop ? Apple ou PC ? Que venaient faire une pomme et Karl Marx dans cette affaire ? Condescendant, le vendeur m’a conseillé un « Personal Computeur » avec « Windows » et un clavier AZERTY plutôt que QWERTY (ces fameux claviers offerts par des ONG américaines à l’Afrique francophone !).
N’essayant plus de cacher mon « illectronisme » (c’est-à-dire mon illettrisme informatique), j’ai demandé s’il existait bien des touches pour tous les accents. Evidemment, me répondit le vendeur. « Ca » commençait, apparemment, plutôt bien. Eh bien, non. Impossible d’écrire « CA » en majuscule avec une cédille. Du coup, ce qui devrait se prononcer « sa » se transformait en « ka ». Idem pour les noms propres « accentués » écrits en capitales. Un monsieur appelé Désiré se transforme ainsi en un homme nommé Désire.
Je sentis, dans le regard du vendeur, l’habituelle condescendance du spécialiste de l’informatique à l’égard du néophyte. Il n’était pas loin de m’envoyer me faire cuire un œuf - écrit « o-e » car mon clavier ne reconnaissait pas spontanément le digramme soudé (moi aussi, je suis capable d’utiliser des expressions savantes !). Par parenthèses, puisqu’on est dans les métaphores culinaires, mon ordinateur est très branché cookies, ce qui me met toujours en appétit.
Le bon côté des choses, c’est que je fais d’énormes progrès en anglais. Tout en préférant envoyer des courriels ou des mèls plutôt que des mails, je suis devenu un expert des hashtags, des bugs, des pops-ups… et des pages blank.
Je surfe sans retenue sur le Word Wide Web. Je chat couramment. Je like, je poke, je delete, je skip et j’escape. J’envoie tout dans mon cloud, sauf mes spams. En revanche, rien ne m’énerve plus que le 410 qui surgit, de temps en temps, sur mon écran. Au début, je me demandais pourquoi mon ordi était autant obsédé par la prise de Rome par le roi des Wisigoths Alaric 1° en 410. Des jeunes confrères, apparemment mieux informés, prétendent que c’est pour me signifier que l’URL est erronée. Comme monsieur Jourdain, je pratiquais l’Uniform Resource Locator sans le savoir.
Finalement, j’ai fait beaucoup de progrès dans la connaissance du charabia et des acronymes parfois anglais, parfois français, utilisés par les branchés de l’informatique. Désormais, je ponctue mes remarques éminemment humoristiques de LOL (Lots Of Laughs, of course). Je suis souvent MDR (Mort De Rire, évidemment). YOLO (You Only Live Once), il faut bien s’amuser ! Mais l’actualité suscite souvent mes OMG (Oh My God) et parfois mes WTF (What The Fuck) car dans la IRL (In Real Life), la vie n’est pas toujours rose. Et, en tant que journaliste concerné par la marche du monde, je ne dirai jamais OSEF (On S’En Fout). .
Ne désespérons pas. La francophonie n’est pas morte. Un miracle (ce mot que les Anglais nous ont, d’ailleurs, emprunté) est toujours possible. La première norme française en matière d’écriture informatique vient de voir le jour. Elle oblige les fabricants à adapter les claviers aux subtilités de notre langue. Enfin, il va être possible de mettre des accents sur les majuscules et des respecter les ligatures comme « ae » ou « oe ». Que cela va se mette en place ASAP – pardon, aussi vite que possible !
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