La chronique de Jean Claude Allanic : Du sexe des métiers

mai 03, 2019

Les « immortelles » de l’académie française ont donc réussi à convaincre leurs mâles collègues de la nécessité de féminiser les noms de métiers. A vrai dire, on ne les avait pas attendus, même s’il existe toujours une certaine ambiguïté sur la profession exercée : une bouchère n’est souvent que la femme du boucher (et la caissière de la boutique), une générale l’épouse du galonné (et, généralement, une femme dite au foyer). Mais, en principe, une rédactrice en chef n’est pas l’épouse du rédacteur en chef. Et l’unique directrice de l’information que j’ai eue dans ma carrière menait la rédaction comme un vrai chef. Pardon : il faut dire désormais comme une vraie « cheffe » bien que l’académie se soit interrogée sur la possibilité de dire « chéfesse », « chève » ou « cheftaine » (comme chez les scouts).
Les mots d’une langue sont le reflet d’une époque et, dans le vaste monde de la francophonie, des cultures et des histoires locales.
De nos jours, dans la plupart des pays, les femmes ont conquis leur place dans le monde du travail. Elles exercent leur profession à part entière. Il ne viendrait plus, à l’idée de personne, de penser qu’une pharmacienne, dûment diplômée, est la femme du pharmacien.
La féminisation des noms de métiers correspond à cette évolution de nos sociétés. Dans certains secteurs d’activité, les femmes sont même devenues majoritaires. C’est le cas, particulièrement, dans l’enseignement. Pourtant, assez curieusement, c’est à l’école que le féminin des métiers a du mal à s’imposer. Pourquoi, dans les lycées, les femmes professeurs ne sont pas devenues des « professeuses » ou des « professeures » alors que, dans les écoles élémentaires, les institutrices côtoient les instituteurs (je sais, il faut dire, maintenant, en France, professeurs des écoles) ? Reste à savoir s’il faut dire « proviseur » ou « proviseuse », madame « le » proviseur ou madame « la » proviseur (idem pour une ministre). Ce qui est certain, c’est qu’on peut parler de « maître » et de « maîtresse » à l’école ; dans la vie d’adulte, une maîtresse donne rarement des leçons de morale – mais ceci est une autre histoire.
Au-delà des recommandations académiques, des modes passagères et, parfois, des diktats idéologiques des uns et des unes, l’usage et le bon sens imposent leurs règles. Les « doctoresses » soignent aussi bien que les « docteurs » mais le mot est moins utilisé. En revanche, on comprend plus facilement qu’une femme « médecin » ne se fera jamais appeler une « médecine » ! Il y a comme ça, une ribambelle de mots qui sont difficilement « féminisables » pour des motifs divers, le plus souvent parce qu’ils ne sont pas beaux ou qu’ils « sonnent » mal comme, par exemple, une « ingénieuse du son » ou une « huissière » de justice. A l’inverse, certains noms de métiers se « masculinisent ». Dans les maternités, les « sages-femmes » sont des « accoucheurs » quand elles/ils sont des hommes. Mais le sexisme fait toujours preuve d’une notable résistance dans certains domaines comme celui de la publicité et de la télévision où les « ménagères de moins de 50 ans » restent des cibles privilégiées. Tant pis pour les « ménagers » du même âge (qu’on qualifie alors du terme jugé moins péjoratif de « consommateurs »).
Pour la petite histoire, on notera que certains mots de notre vocabulaire francophone n’ont pas d’équivalent au féminin. Un escroc, un voyou seront toujours des hommes. D’autres mots seront toujours au féminin. Une beauté peut se dire d’un homme … à condition, évidemment, d’ajouter « virile »! C’est encore plus compliqué chez nos amis les bêtes. En matière de masculin/féminin, la règle, c’est qu’il n’y a pas de règle. Le tigre a sa tigresse, la cane a son canard. Mais allez savoir quel est le sexe d’une girafe (nf), d’un rhinocéros (nm), d’un perroquet (nm) ou d’une baleine (nf) ?

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