Contre les fausses infos, le journalisme indépendant

mai 05, 2017

Comment lutter contre les fausses informations ? Par le journalisme. Et dans ce domaine, les autorités européennes peuvent jouer un rôle décisif.

La société civile et les personnalités politiques s’inquiètent de plus en plus de la prolifération des infos bidons diffusées en ligne. Ont-elles influencé les élections américaines ? Menacent-elles le débat démocratique ? Sont-elles des informations fausses répandues de manière intentionnelles ou bien le fruit d’erreurs et de partialité ? Peu importe, au bout du compte : leur contenu se diffuse en quelques secondes, et chacun peut dire ce qu’il souhaite sur Internet sans avoir à l’étayer par des preuves ou des sources. Le remède est connu : c’est le journalisme professionnel, qui est l’antithèse des fausses informations. La responsabilité et la vérification des faits sont une partie essentielle du travail éditorial : enquêter, interroger, rechercher, étudier, analyser, et vérifier encore une fois.
Mais le contenu journalistique de qualité est coûteux et le pluralisme des médias, qui est au service de tous nos lecteurs, de l’échelon local à la scène globale, a lui aussi un prix. Les journalistes professionnels doivent être payés, formés, dotés de ressources, et protégés légalement par leurs éditeurs. La révolution numérique a transformé la création, la distribution et la consommation d’informations. La salle de rédaction est aujourd’hui un centre de haute technologie, regroupant des techniciens et des informations, qui travaillent avec les équipes de rédaction pour produire les infos en continu, sur tous les formats possibles, et tous les supports. Grâce à Internet, le contenu des éditeurs est grandement prisé, et nous avons plus de lecteurs que jamais.
Le financement du journalisme de qualité se heurte toutefois à deux problèmes :
- La protection de la propriété intellectuelle en ligne n’est pas garantie. D’autres acteurs sur Internet peuvent copier les articles, photos ou vidéos, les diffuser, les commercialiser ou les vendre sans rémunérer l’éditeur. Cela concerne à la fois les courts extraits et les articles entiers.
- Il y a un fossé énorme entre l’audience du contenu d’un journal et la capacité d’une entreprise de presse à monétiser son activité et donc à être payée pour la création de ce contenu. Cet écart se creuse de plus en plus. Les revenus publicitaires sur papier sont en baisse, tandis que Google et Facebook dominent le marché de la publicité en ligne, avec 72 % des revenus publicitaires numériques dans le monde (Chine exclue).
Mais une solution existe. Dans le cadre de sa réforme sur le droit d’auteur, la Commission européenne a proposé un droit voisin pour les éditeurs de presse, à l’instar de ce qui existe déjà pour les secteurs de la musique, du film et de l’audiovisuel. Cette proposition, actuellement en discussion dans le cadre de la réforme du droit d’auteur, devra être adoptée avant la fin 2017.
La protection de la propriété intellectuelle donnera aux éditeurs la capacité juridique de négocier des licences et de lutter contre l’exploitation illégale de leur contenu. Les éditeurs pourront alors développer des relations commerciales avec les agrégateurs, positives pour chaque partie : l’ambition des éditeurs est de trouver un moyen de rendre l’écosystème numérique bénéfique pour tous. Quoiqu’en disent les opposants, cette proposition n’aura aucune incidence sur la possibilité des lecteurs à partager entre eux les articles et les liens, activité que les éditeurs continueront à encourager.
Face à ces enjeux majeurs pour la presse, pour le pluralisme des médias et le journalisme professionnel, ce droit voisin sera une étape capitale pour garantir une presse indépendante et durable. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont la grande responsabilité d’assurer des conditions pour préserver une presse libre et indépendante.
Carlo Perrone
Président de l'Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA)
Source : Libération