Le panel était constitué de Robert Kassous, journaliste-reporter, responsable des enquêtes du magazine Forbes Afrique (France), Salif Diarrah, journaliste-reporter, MaliActu (Mali), Henriette Marlène Niang, journaliste (Sénégal), Valentin Zinga, président de l’Association Médias, Médiations et Citoyenneté (Cameroun). L’atelier a été modéré par Khaled Drareni, Reporter, représentant de RSF (Algérie)
Modérateur : Khaled Drareni, Journaliste-Reporter, représentant de RSF (Algérie)
Par Noro razafimandimby, Secrétaire générale adjointe de l’UPF
Qu’elle fascine ou qu’elle effraie, la révolution numérique a des incidences dans tous les domaines de la vie et impacte particulièrement les médias de l’information. «Tout individu dûment équipé peut être à la fois récepteur et émetteur d'informations, d’opinions et d'analyses » souligne chiffres à l’appui Henriette Marlène Niang du panel de l’atelier sur le numérique et l’émojournalisme. Cette journaliste historienne de formation atteste que l’information circule de plus en plus en ligne. Elle relève que jamais comme aujourd'hui tout un chacun a eu la possibilité d'émettre des messages à des coûts bas, tout en parvenant à toucher une audience potentielle très vaste. Elle révèle ainsi :
- qu’au 1er janvier 2019, il y avait plus de 4,02 milliards d’internautes dans le monde
- qu’il y a plus d’utilisateurs d’Internet mobile que d’utilisateurs d’Internet desktop
- que le trafic Internet mondial via ordinateurs représente 46% contre 54% pour les appareils mobiles
- que d’ici 2021, les mobiles devraient atteindre 61% du trafic Internet mondial
- que les appareils connectés sont au nombre de 26,66 milliards dans le monde
- que d’ici 2021, les vidéos sur Internet représenteront 82% du trafic Internet mondial
- qu’on répertorie plus de 1,60 milliards de sites web dans le monde et environ 200 millions de blogs dont 3 millions sont créés tous les mois.
La numérisation a donc conduit à une offre infinie d’informations auprès de sources multiples. Au point qu’on a parfois du mal à trouver la pépite dans le flux et le flot de cet océan numérique, concède le journaliste-reporter Robert Kassous.
Il est loin le temps où le journaliste détenait le monopole de l’information. « Celui-ci est de plus en plus concurrencé par les consommateurs qui avec les réseaux sociaux ne se contentent plus de recevoir l’information mais vont eux-mêmes créer l’information, quitte à se passer des médias traditionnels » fait remarquer Valentin Siméon Zinga, le président de l’Association Médias, Médiations et Citoyenneté du Cameroun. Les internautes balancent les informations avant même que les journalistes ne soient sur place.
Et c’est la course «pour obtenir des informations originales, exclusives» pour reprendre les propos d’Henriette Marlène Niang. Dans cet environnement fortement concurrentiel, les supports traditionnels tentent de suivre le mouvement et s’évertuent, eux aussi, à publier les infos avant les autres quitte à bouleverser leur conception et leur traitement de l’actualité.
Salif Diarrah, journaliste-reporter à Mali Actu reconnait que l’internet est devenu un outil formidable pour diversifier les contenus journalistiques et pour favoriser la diffusion des informations notamment à travers les réseaux sociaux. Sans compter que les réseaux sociaux contrairement aux canaux traditionnels ont la possibilité d’évaluer immédiatement l’impact d’une actualité commente-t-il. Toutefois, il fait observer que le modèle économique de la presse n’a que peu évolué. A la recherche d’un nouvel équilibre économique, les médias favorisent parfois les clics et l’émotion au détriment d’une information et d’une analyse de qualité, déplore-t-il.
L’accès à l’information pour les citoyens et notamment les jeunes est le plus souvent immédiat. Il se fait sur internet, et de plus en plus via les smartphones. Ils veulent avoir les infos au plus vite, de façon ludique et avoir la possibilité de les partager à leurs amis sans avoir par exemple, à déchirer les pages des magazines et des journaux décrit Robert Kassous.
Et, selon ce dernier, il faut tenir compte de ces pratiques d’information des nouvelles générations en choisissant avec pertinence les modes d’expression (sons, vidéos, photos, infographies, datas…) dans leur complémentarité.
De nouveaux formats, de nouveaux concepts s’offrent à nous pour diffuser les informations martèle-t-il. Avec quelques images on peut raconter une histoire sans avoir à écrire un article de quatre pages, en une seule photo et quelques clics l’on peut découvrir l’intérieur d’un avion.
Le numérique favorise-t-il alors l’émo journalisme ? Apparemment oui, à entendre Henriette Marlène Niang qui affirme que l'information prend de plus en plus des allures d'un spectacle qui cherche à provoquer le rire, des larmes ou, en tout cas, des battements de cœur.
L’émotion n’est pas forcément négative, il ne s’agit pas forcément de la rejeter mais de la mettre à sa place selon Saliff Dierrah. Il note que de plus en plus de médias adaptent leurs contenus aux plateformes et publient des titres racoleurs (ou putes à clic dans le langage courant) dans l’espoir de générer un maximum de clic, d’augmenter leur audience et de percevoir des revenus publicitaires. Aussi, ce qui fait le succès d’un article ne vient plus de la qualité de l’information diffusée soutient-il mais de son côté viral et émotionnel.
Robert Kassous quant à lui nuance, en évoquant que le numérique ne favorise pas mais contribue à l’émojournalisme. L’on ne peut faire abstraction de l’émotion qui est une réalité de l’être humain. A un moment ou à un autre, le journaliste est inévitablement rattrapé par l’émotion. Il recommande toutefois d’éviter de provoquer volontairement des émotions. Pour lui rien ne change mais ce sont uniquement les usages qui changent. Un journaliste demeure et doit demeurer un journaliste, respectueux de la déontologie de son métier. Son rôle devrait rester celui d’informer. Et, il doit privilégier le souci de vérité en vérifiant, en recoupant, en hiérarchisant ses informations.
Les intervenants comme les participants à l’atelier se sont accordés à dire que le journaliste ne peut évacuer systématiquement l’émotion. Il lui est difficile de faire l’impasse sur les joies ou les douleurs des personnes à un moment donné. Il se doit de rapporter ce qu’elles ressentent sans exagération et en toute objectivité.
Par contre, la qualité de l’information prime car c’est l’essence même du métier de journaliste. Aussi, ils admettent qu’il faut éviter de tomber dans la dérive émotionnelle, de recourir aux émotions pour manipuler l’opinion ou pour faire exploser le médiamat.
« Quelles que soient les configurations futures, le numérique sera en amont et au cœur. Certes la technique et la technologie modifient les usages, ouvre des possibles et change les pratiques. Rien n’empêche de faire des articles longs, donner sa documentation par des liens hypertextes, complétés par du son et/ou des images. C’est un chantier qui permet de réinventer le métier sans céder sur la valeur du contenu. C’est là que se situe notre bataille » conclut Henriette Marlène Niang. Et, c’est ce qui s’est effectivement dégagé lors des échanges tout au long de cet atelier.
Noro Razafimandimby