C'est entendu : demain, les humains ne feront rien par eux-mêmes. Inutile de savoir lire, de savoir compter, d'apprendre une langue, voire même de réfléchir. L'intelligence artificielle fera tout à notre place. L'IA conduira nos voitures, pilotera nos avions, fera le ménage dans nos maisons, gérera notre budget, nous trouvera le, la, les partenaires amoureusement compatibles, nous soignera à distance et organisera toute notre vie pour le meilleur et pour le pire.
On n'en est pas encore là même si les cerveaux informatiques régentent déjà beaucoup (trop ?) nos actes quotidiens. Il en va ainsi de notre pratique du français quand nous « déléguons » à nos ordinateurs et à nos smartphones le contrôle de nos écrits.
Plus besoin de rechercher un mot, un synonyme, un accord grammatical, une traduction dans un dictionnaire. Nos PC et nos Apple étant artificiellement intelligents, ils comblent nos lacunes et rectifient nos erreurs. Le problème, c'est que ce n'est pas toujours à bon escient et rarement dans la subtilité de la langue. Exemple : pour mon « ordi », écrire « déchèterie » (comme le recommande l'Académie française) est une faute. En revanche, il ne voit aucun inconvénient à ce que j'écrive « je met » sans « s » et « je dit » avec un « t ». Avis aux lycéens et étudiants qui trouvent que les correcteurs d'orthographe « ça déchire grave » puisqu’ils évitent la fatigue du dictionnaire qu'il faut ouvrir, feuilleter jusqu'à la bonne page en tentant de se remémorer son alphabet ! Les correcteurs ne sont pas intelligents. Ils sont plutôt bêtes et parfois méchamment trompeurs. Le cerveau humain reste encore utile … quand il a été bien « programmé ». Heureusement, les journalistes que nous sommes avons les compétences indispensables pour dénouer ces pièges. Évidemment !
Au moins, mon ordinateur reconnaît les accents, ce qui n'est pas le cas de mon smartphone, allez savoir pourquoi. Ainsi, mon téléphone m'a récemment refusé un accent aigu dans un sms où je voulais parler, familièrement, de « travail cochonné ». Tout ce qu'il voulait bien accepter, c'est « travail cochonne » ; j'en ai été réduit à écrire : « travail cochon ».
Puisque nos cerveaux fonctionnent généralement en associations d'idées, j'ai beaucoup aimé cette traduction de « Polish sausages ». En passant de l'anglais au français, l'étiquette est devenue : « Polissez la saucisse ». Plus poétique est cette mise en garde sur un jeu à piles : « si une batterie est hirondelle, voir promptement le docteur ». Dans un troisième genre, un peu plus angoissant, les passagers de cette compagnie aérienne ont dû ressentir avec une certaine crispation la consigne donnée en cas d'atterrissage d'urgence : « crispez-vous* » (« Brace for impact »). Et serrez les fesses !
« Traduttor, traditore » disent les Italiens. Traduire, c'est trahir. En théorie, quand mes amis de l'UPF s'expriment dans leur langue nationale sur Facebook, il suffit de cliquer sur la traduction pour les comprendre. Je remercie donc vivement ce collègue afghan pour cette remarque se voulant, je suppose, bienveillante : « les chéris de Dieu très acceptables ». En revanche, je suis resté très perplexe devant ces considérations en forme de casse-tête chinois, rédigées par une de mes anciennes étudiantes vietnamiennes : « ceux qui ont écrit dur, toujours en cour le edit. Il est plus de 80 ans encore besoin d'être sage pour corriger chaque lettre avant le post ». Avec un bon cerveau humain et un peu d'imagination, en gros, on devine qu'il ne s'agit pas d’une recette de cuisine. En revanche, comprenne qui pourra cette mystérieuse mise en garde apparue récemment sur l'écran de mon ordinateur, mot pour mot:« L'Exception Exception logicielle inconnue (0xe000008) s'est produite dans l'application à l'emplacement 0xfd25bdfd ». Ah, bon ?
* Crispante aussi cette innovation de la banque française LCL qui vient de remplacer son programme de fidélité « Avantage + » par … « LCL CityStore ». Cela, au moment même où cent personnalités représentant 25 pays demandaient au président Macron de renoncer « à l'utilisation de l'anglo-américain en France ». Business is business pour LCL. Mais quel est intérêt, pour les clients du Crédit Lyonnais, d’un recours à l'anglais pour les fidéliser ?