Médias en ligne au Mali : les défis de la crédibilité et de la viabilité financière
Les professionnels du secteur le soulignent à l’unisson : plus un site est crédible, plus il attire des visiteurs et plus il devient un produit d’appel de la publicité. C’est le cas pour tous les types de médias. Mais le défi supplémentaire pour les acteurs de la presse en ligne : une réputation à forger. Ce qui n’est pas gagné d’avance
Au Mali, comme partout ailleurs, la création de médias en ligne est devenue un phénomène de mode. L’essor extraordinaire du numérique aidant, le monde est entré, aujourd’hui, dans une demande d’information quasi instantanée. Les médias en ligne offrent au public une multitude de sources d’information lui permettant de se faire sa propre opinion sur les faits au quotidien. Notre pays en compterait 200 environ, selon l’Association des professionnels des médias en ligne du Mali (Appel-Mali).
Mais ces médias sont-ils vraiment viables ? D’où provient l’essentiel de leurs ressources ? Ont-ils plus de dépenses ou moins de charges que les médias traditionnels ? En réponse, les spécialistes sont unanimes : la viabilité économique d’un média en ligne dépend de son audience qui est, elle aussi, fonction de sa crédibilité. « Nous faisons extrêmement attention à tous les contenus que nous produisons. Nous nous en tenons uniquement aux faits et les commentaires sont libres », résume la directrice de kunafoni.com, une web TV. Pour Togola Hawa Séméga, la viabilité d’un média en ligne – comme de toute entreprise – dépend aussi de son modèle économique. «Nous envisageons de faire payer certains de nos contenus, en vue de monétiser certaines productions», révèle-elle.
Mamadou Diarra, le directeur de publication du site d’informations générales, maliweb.net, constate que la situation est «économiquement difficile» pour certains car, fait-il remarquer, « rares sont les promoteurs qui réalisent des études de faisabilité avant de s’engager ». En outre, les quatre sites qui ont plus de bandeaux de publicité que les autres, dépendent généralement des Agences de communication pour les insertions publicitaires. Et les agences de communication ne sollicitent que les sites ayant une grande audience.
Dépenses fixes
Outre les insertions publicitaires, explique Mamadou Diarra, les ressources de maliweb.net proviennent des échanges avec d’autres sites à l’international et au niveau national. Comme à maliweb.net, l’essentiel des revenus de kunafoni.com provient aussi de la publicité et des contrats noués avec des organisations étatiques ou non, dévoile Mme Togola. Une organisation néerlandaise subventionne par exemple kunafoni.com, en prenant en charge près de la moitié des frais liés au fonctionnement, révèle la patronne de la télévision en ligne. Elle explique aussi que Google et Youtube reversent des fonds presque insignifiants quand le site est bien visité.
Grâce à ces différentes ressources, les médias en ligne assurent leur fonctionnement, qui peut aussi varier selon le média : télé, radio et presse écrite. Ils fonctionnent exactement comme les médias classiques ou dits traditionnels, analyse la patronne de la web TV. « Nous avons un local, du personnel (journaliste, administration, commerciaux, webmaster, community manager…) Donc, la gestion d’un média en ligne exige des dépenses fixes », même si au niveau de certaines rédactions web la mise en ligne est assurée uniquement par le directeur, reconnaît Togola Awa Séméga.
Mamadou Diarra fait remarquer que la grande différence avec les journaux papiers se situe au niveau de l’impression. « Un journal coûte plus cher qu’un site qui ne paie pas de frais d’impression », souligne le directeur de publication de maliweb.net. C’est pourquoi, la plupart des journaux sont en train de créer leurs propres sites, constate M. Diarra.
Le numérique au secours de la version papier des journaux ? Le cas de certains grands journaux inclinent à répondre par l’affirmative. Lorsque vous regardez l’évolution de la presse dans le monde, vous verrez que les versions en ligne des médias dits traditionnels (journaux papiers, radios et télévisions) arrivent à capter de manière importante un public, constate l’ancien ministre Gaoussou Drabo. Il en veut pour preuve le fait que le journal Le Monde s’est redressé pour atteindre presque l’équilibre financier en développant une version numérique. «En 2015, le quotidien Le Monde comptait 104 000 abonnés au journal papier, vendait 75 000 exemplaires/jour en kiosque et comptait 55 000 abonnés numériques. En faisant évoluer sa version numérique (très grande réactivité à l’actualité de la journée tout en préservant la qualité des analyses et le caractère pointu des commentaires), il a enregistré la progression suivante constatée en 2019 : 81 000 abonnés papier (net recul), 36 000 exemplaires en kiosque (net recul) et 158 000 abonnés numériques (190 000) si l’on ajoute ceux de l’application mobile», argumente l’analyste, citant «La Matinale» comme source de ces données. Pour lui, le numérique va, dans l’avenir, servir plus aux rédactions des médias traditionnels qu’aux nouveaux venus, qui ont besoin de s’installer, de faire sentir une différence dans le traitement de l’information, dans la qualité de l’information pour être préférés aux médias traditionnels, et surtout d’être mieux perçus que les réseaux sociaux.
Projet de loi
En attendant, nos acteurs de la presse en ligne comptent sur la réglementation du secteur et l’aide à la presse pour tirer davantage leur épingle du jeu. Car, ils voient leurs recettes plombées à cause de la reprise de leurs articles par des portails qui ne produisent pas de contenus, peste Mme Hawa Séméga. Une situation à laquelle on aurait pu trouver une réponse si le secteur était régi par la loi, estime-t-elle, ajoutant qu’il est temps que les médias en ligne soient soumis à une réglementation.
Interrogé à propos de la réglementation, Gaoussou Drabo, membre de la Haute autorité de la communication (HAC), révèle que l’instance de régulation a déjà transmis au ministère en charge de la communication un projet de règlementation de la presse en ligne. «Il n’y a rien qui entrave fondamentalement la bonne volonté des personnes qui veulent créer un média en ligne, qu’il soit web radio, web TV ou journal en ligne, mais il y a la volonté de prévenir de la manière la plus ferme les dérives qui peuvent découler de ceux qui entrent avec d’autres intentions dans ce secteur d’activité», insiste M. Drabo.
Le patron de maliweb.net Mamadou Diarra invite, pour plus de viabilité, les dirigeants des médias en ligne à miser davantage sur la crédibilité et la fiabilité des contenus qu’ils publient. Car, un site, c’est d’abord et avant tout sa crédibilité, énonce-t-il, ajoutant que ceux qui ne sont pas très regardants sur la qualité de l’information, sont appelés à disparaître.
L’ancien ministre de la communication trouve indéniable le lien entre viabilité économique et respect des règles et principes fondamentaux qui régissent le métier. «Je pense que chaque fois que l’on viole la déontologie et l’éthique, c’est comme si on mettait le feu à la brousse derrière soi. Peut-être que ça débroussaille un champ, mais vous ne pouvez plus y revenir », avertit Gaoussou Drabo.
Cheick M. TRAORÉ
L’Essor