Porté aux nues par l’ancien président Barack Obama, le journaliste le plus célèbre du Ghana, mais également du continent, dissimule son visage en public, menacé à la suite des révélations de ses enquêtes sur la corruption dans le milieu du football et la police ou bien encore les violations des droits de l’Homme dans les prisons.
Anas Aremeyaw Anas est un paradoxe. Il est le journaliste le plus célèbre du Ghana et pourtant, personne ne connaît son visage. Anas n’apparaît en public qu’affubler d’un bob et d’un voile de perles qui lui dissimulent la chevelure et la figure. La raison ? Le journaliste est menacé de mort à la suite des nombreuses révélations de ses enquêtes, réalisées en caméra cachée. Corruption dans la fédération ghanéenne de football, dans la police, violations des droits de l’Homme dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques, assassinats d’albinos en Tanzanie… Anas met à nu les errements de la société ghanéenne, mais également du continent africain.
Le rendez-vous est donné dans un immeuble sans âme en banlieue d’Accra, la capitale. Les lieux sont gardés par plusieurs hommes. Anas Aremeyaw Anas vit en permanence sous protection. "Je n’ai pas peur. De nombreux journalistes sont morts, et d’autres vont continuer de mourir.
Mais ils gardent un sourire sur le visage sachant qu’ils se sont battus pour la vérité", estime-t-il. Seule la voix du journaliste est connue. Sa diction est posée, calme, suave. "Si jamais il devait m’arriver quelque chose, n’importe qui avec une passion peut prendre le relais et devenir Anas, voire même un meilleur Anas", déclare-t-il.
"Dénoncer, faire honte, mettre en prison"
Anas Aremeyaw Anas, qui a fait des études de droit avant de commencer sa carrière de journaliste dans la presse écrite, a comme credo trois mots : "Naming, shaming, jailing" (dénoncer, faire honte, mettre en prison). Ses enquêtes, publiées sur Al Jazeera, la BBC ou bien encore CNN, ont notamment conduit aux mises à pied du président de la fédération ghanéenne de football et de plusieurs dizaines de juges, pris sur vidéo en train d’accepter des pots-de-vin.
"Le journaliste doit être à la recherche du progrès de la société, il doit se battre pour l’intérêt du public", estime-t-il. Il n’a pas hésité en 2013 à se faire enfermer pendant trois mois dans une prison ghanéenne. Les images de son incarcération, capturées grâce à une caméra cachée, ont montré les conditions ignominieuses d’hygiène et la prolifération des drogues. Pense-t-il que la situation est différente aujourd’hui ? "Mon but est de montrer la situation à un moment précis, c’est ensuite à la société de s’emparer de la question", estime Anas.
S’il pratique une forme singulière de journalisme, Anas Aremeyaw Anas évoque souvent certaines références de la profession. Il mentionne ainsi Nellie Bly, pionnière américaine du journalisme d’investigation au XIXème siècle, qui s’est notamment fait enfermer pendant plusieurs jours dans un hôpital psychiatrique afin de rendre compte des conditions d’enfermement. Comme Anas au Ghana plus d’un siècle plus tard. "Elle n’avait peur de rien et était vraiment très courageuse", poursuit-il.
Appel public au lynchage
Référence pour certains – Barack Obama l’avait cité en exemple lors d’un déplacement au Ghana en 2009 - Anas Aremeyaw Anas a aussi ses contempteurs. Après les révélations sur la corruption dans le milieu du football, un député du parti au pouvoir a accusé le journaliste de corruption et a publiquement appelé à le "lyncher". "C’est une blague", répond de son côté Anas. "Les gens voient lorsque vous êtes un hypocrite", poursuit-il. "Au départ, la FIFA avait déclaré qu’il n’y avait pas de pots-de-vin versés. Mais quand ils ont vu le sérieux de notre travail, ils se sont excusés", déclare le journaliste.
Selon Transparency International, le Ghana se trouve à la 40ème place sur 180 en matière de corruption. "Je suis optimiste pour le futur du pays, mais également du continent en règle générale", estime Anas. "Il y a un élan en faveur de la liberté d’expression en Afrique. Les réseaux sociaux, notamment Facebook, permettent de défendre la liberté d’expression et c’est un espoir pour le continent tout entier", estime le journalisme.
Source : RTBF