Les femmes sont citées trois fois moins que les hommes au Québec, selon un dépouillement de trois grands quotidiens montréalais. Comment peut-on briser ce plafond de verre et atteindre la parité à travers nos médias? En France, il a fallu une loi pour changer les choses.
Il y a quelques semaines, la Française Sylvie Pierre-Brossolette était invitée à l'ONU, à New York, pour présenter entre autres les bienfaits de la loi du 4 août 2014 qui confie au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA, l'équivalent français du CRTC) la mission de «veiller à l'image des femmes dans les médias».
Cette loi oblige les chaînes de télévision et les radios à remettre chaque année un rapport sur la présence des femmes sur leurs antennes, que ce soit comme experte, journaliste ou animatrice. Le CSA peut même sanctionner une chaîne qui n'enregistre pas de progrès d'une année à l'autre à cet égard.
Cette mesure peut sembler radicale, mais Sylvie Pierre-Brossolette croit que c'est la seule manière de faire progresser la cause des femmes dans les médias.
«Les engagements de bonne volonté ne suffisent pas. Jusqu'au vote de la loi de 2014, de nombreuses chartes ont été signées sans aucun effet, avance la responsable du groupe de travail Droits des femmes du CSA. Avec les contraintes de la loi, qui prévoit autoévaluation et sanction pour manquement par le CSA, des progrès notables ont été accomplis.»
Parmi les avancées, la présence d'expertes est passée de 15 % à 35 % en trois ans. Il y a aussi des engagements, comme celui de France Télévisions, qui souhaite atteindre la parité d'ici 2020.
«En France, cette loi n'a soulevé aucun enthousiasme dans les médias, qui l'ont vécue comme une contrainte. Mais peu à peu, une prise de conscience a vu le jour.»
«La publication des chiffres a une vertu: c'est le "name and shame". Personne n'a envie d'être montré du doigt pour ses mauvais résultats, surtout concernant une cause de plus en plus populaire.»
Pas de loi au Canada
Le Canada suivra-t-il l'exemple de la France? Joint par La Presse, Patrimoine canadien a rappelé que Téléfilm Canada, l'Office national du film et le Fonds des médias du Canada, entre autres, ont pris des engagements pour atteindre la parité dans quelques secteurs. «Certains objectifs sont déjà atteints, mais il reste du travail à faire», a indiqué Simon Ross, attaché de presse de Mélanie Joly.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), l'organisme chargé de réglementer et de superviser la radiodiffusion et les télécommunications au pays, a lui aussi l'intention de faire bouger les choses dans des postes clés à la télévision, comme le révélait La Presse hier.
Mais, dans tous les cas, il s'agit surtout de mesures pour des projets de fiction et des postes clés derrière la caméra. Rien, pour l'instant, n'indique qu'une loi viendra réglementer la présence des femmes dans les médias.
Un intervenant sur quatre cité dans les quotidiens montréalais scrutés par La Presse est une femme. Ces résultats sont semblables aux données que recueille Influence Communication depuis plusieurs années. «Ça ne me surprend pas, mais je trouve qu'on ne le dit pas assez», dit le président d'Influence Communication, Jean-François Dumas.
Parmi les chiffres qui le déçoivent le plus, il y a ceux du top 50 annuel des personnalités les plus médiatisées. Les hommes s'y taillent toujours la part du lion. En 2017, seulement deux femmes ont réussi à se retrouver dans ce palmarès: Hillary Clinton et Valérie Plante. «Et en plus, on y retrouve tous les joueurs du Canadien, dont d'obscurs attaquants de quatrième trio», dit Jean-François Dumas.
Une banque d'expertes
Diane Lamoureux, professeure en philosophie politique et spécialiste de la pensée féministe à l'Université Laval, est bien consciente que les journalistes travaillent dans des échéanciers serrés. Ils appellent ainsi les experts qu'ils ont déjà interviewés ou qu'ils ont entendus à telle ou telle émission. Souvent des hommes.
«Mais il y a des femmes dans pratiquement tous les domaines. Si on interviewe un médecin homme, je suis sûr qu'on peut trouver un médecin femme. Quand on cherche, on trouve. C'est aussi bête que ça.»
À ce propos, Shari Graydon, fondatrice d'Informed Opinions, a mis sur pied une banque d'expertes canadiennes que les journalistes peuvent contacter sur différents sujets.
«Lorsque nous avons rencontré les hauts dirigeants des médias de partout au pays, ils ont applaudi à cette initiative et ils nous ont donné des conseils pour la rendre encore plus utile. Ils nous ont notamment suggéré de continuer à leur rappeler régulièrement qu'ils peuvent faire mieux», explique-t-elle.
Sa banque contient plus de 500 expertes, mais seulement une vingtaine du Québec. Avec son équipe de Montréal, elle espère augmenter rapidement ce nombre.
Shari Graydon est tout à fait favorable à la mise en place de quotas pour promouvoir la parité: «Pas pour chaque histoire, mais dans l'ensemble du média», dit la journaliste et auteure.
Martine Lanctôt, rédactrice en chef du Trente - le magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec -, est moins convaincue qu'il faut imposer des quotas: «Mais je pense que nous pourrions nous donner des cibles, nuance-t-elle. Par exemple, se dire qu'il faut s'améliorer de 5 % cette année et d'un autre 5 % l'année suivante. Moi, j'opterais plus pour ça.»
Source : La Presse