Qu’importe, le sujet est à l’ordre du jour, et tant mieux. Les petits esprits, comme ils le font depuis un siècle, hurleront contre un prétendu « conseil de l’ordre » aux relents pétainistes. Argument repoussoir fallacieux puisqu’il ne s’agit pas du tout de cela, mais d’une instance de dialogue, dont le mérite est (au moins) triple :
- Créer une alternative à la seule définition par l’Etat ou les juges de référés de ce qu’est l’éthique journalistique
- Offrir au public une instance de médiation accessible et pas uniquement corporatiste
- Constituer « en marchant » un corpus référentiel des bonnes pratiques journalistiques utile aux rédactions, aux professionnels et aux étudiants en journalisme
Un conseil de presse n’est pas à lui seul LA solution aux errements de la presse et des médias. Il en est un des éléments.
Depuis dix ans déjà, des journalistes, des médias et des représentants du public ont réfléchi à la mise en place d’une telle instance. Yves Agnès détaille ici les conditions d’une bonne mise en place d’un tel Conseil
Dans le monde entier, en particulier francophone, des initiatives ont été prises, comme en Côte d’Ivoire, pionnière en la matière. Plus récemment, la Suisse, la Belgique, ont développé l’activité de leurs instances, à la lumière de l’expérience québécoise. André Linard dresse ici le bilan éclairant de la jeune institution belge.
Merci à eux.
Loïc Hervouet
===========
Liberté, responsabilité, médiation
Par Yves Agnès(*)
Les « conseils de presse », ces instances indépendantes d’autorégulation déontologique de l’information, ont déjà plus de cent ans. Le premier a en effet vu le jour en 1916 en Suède. Près d’une centaine ont été recensés, sur tous les continents. Dans la sphère francophone, les conseils de presse québécois et suisse sont parmi les plus anciens. Si la dénomination, l’organisation de ces instances et leur mode de fonctionnement diffèrent d’un pays à l’autre, les principes sur lesquels ils reposent sont presque partout les mêmes.
Défendre et renforcer la liberté d’informer. En faisant respecter une éthique professionnelle de l’information, les conseils de presse sont parmi les meilleurs défenseurs de la liberté d’expression, car ils concourent à la qualité des médias eux-mêmes. Partout où cette liberté fondamentale est menacée ou combattue, ils sont soit absents, soit en situation difficile.
Liberté vs responsabilité. Parce que les conseils de presse veulent la liberté de communication la plus large, ils en appellent à la responsabilité des professionnels à l’égard de leurs publics. Le corollaire est qu’un conseil de presse ne s’intéresse pas aux médias « bénévoles », associatifs ou blogs individuels, qui sont de la seule responsabilité des individus ou des « collectifs » qui les publient.
L’Etat n’a pas compétence en matière de déontologie de l’information. Lorsqu’une législation sur l’information existe (c’est le cas en France, pas aux Etats-Unis par exemple), l’Etat et son appareil judiciaire veillent à son respect. Mais l’éthique professionnelle de l’information n’est pas de son ressort. En France, malheureusement, le vide laissé par le refus de la profession (régulièrement depuis 1898) de se doter d’une instance indépendante a conduit l’Etat à placer les médias audiovisuels sous le joug d’une instance qui s’est arrogée peu à peu le domaine de la déontologie : réputée « indépendante », ses membres sont nommés par l’Etat !...
La médiation, composante d’une démocratie moderne. Les conseils de presse ne sanctionnent pas médias et journalistes. Leurs « avis » motivés et publiés sont tout au plus éventuellement une « sanction morale », une incitation à ne pas reproduire leurs erreurs. En revanche, la plupart des conseils de presse s’efforcent de jouer les médiateurs entre la personne (ou le groupe de personnes) qui se considère injustement traitée et le média en cause. La médiation s’avère être une composante d’une démocratie plus humaniste que ne l’est la judiciarisation des rapports sociaux, où l’argent devient l’aune de la vertu.
Le public, antidote au corporatisme. Il existe quelques conseils de presse qui fonctionnent sans la présence de représentants du public. Ce n’est pas la meilleure formule. Car cette présence garantit vis-à-vis de l’extérieur la neutralité des avis rendus, elle est le meilleur rempart contre les tentations corporatistes des journalistes et des éditeurs de média.
Juge de paix et pédagogue
Réception et traitement des plaintes. Toutes les plaintes envoyées au conseil ne sont pas recevables. Celui-ci devra donc dès sa création définir le champ de son action et les critères qui conduiront à l’enquête et éventuellement la médiation. Lorsqu’un cas de déontologie de l’information concerne à l’évidence plusieurs médias (exemple : traitement médiatique d’attentats terroristes), le conseil peut s’autosaisir. Après enquête, les cas sont soumis à l’organe statutaire qui émet un avis motivé.
Veille déontologique et recommandations. En général une fois par an, le conseil publie un rapport de synthèse sur la base des cas étudiés et peut proposer des pistes d’amélioration pour les médias et les journalistes. Il peut aussi, en fonction de l’actualité, se saisir d’un problème (par exemple : le respect de la dignité des personnes, les conflits d’intérêt, la publicité déguisée, etc.) et proposer ses solutions.
Information et pédagogie. L’expérience le montre, un conseil de presse peut apporter beaucoup aux professionnels et au public en multipliant les actions d’information, d’explication et de débat : séminaires, colloques, tables-rondes, visites dans les médias, publication d’un guide à partir des cas soumis au conseil, etc.
Charte de référence. Le travail d’un conseil de presse ne se conçoit pas sans un texte de référence sur la déontologie de l’information, reconnu par tous les acteurs professionnels. Si un tel texte n’existe pas, le conseil doit le mettre au point et le faire adopter par son instance dirigeante. Il sera par la suite complété si de besoin en fonction de l’évolution du système médiatique.
Des limitations évidentes. En particulier, un conseil de presse :
o n’a pas à juger de la ligne éditoriale d’un média, des informations que celui-ci choisit ou non de traiter notamment ;
o ne s’intéresse pas aux commentaires de l’actualité, faisant sien le principe journalistique « les faits sont sacrés, les commentaires sont libres » ;
o ne s’immisce pas dans la législation des médias (sauf si la déontologie est concernée) ni dans le droit du travail (idem) ;
o s’efforce à la neutralité en laissant au vestiaire les corporatismes et les préjugés, y compris ceux qu’édicte le trop fréquent « politiquement correct ».
(*)Yves Agnès a été rédacteur en chef au Monde et directeur général du CFPJ de Paris. Il est l’auteur notamment du Manuel de journalisme (La Découverte, 3ème édition 2015). Il a présidé de 2007 à 2015 l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France (APCP). yves.agnes@noos.fr
===========
Belgique : Le conseil de déontologie journalistique
Le CDJ est une association privée considérée comme « service au public » par le monde politique qui le finance en partie sans intervenir dans son travail. Aucun média n’est obligé d’en faire partie mais l’adhésion conditionne l’accès à l’aide à la presse ou – pour l’audiovisuel – à l’agrément par le CSA.
L’existence d’un conseil de déontologie repose sur la primauté donnée à l’autorégulation en matière journalistique. Les médias constituent en effet un contre-pouvoir et il serait dangereux d’en confier le contrôle aux pouvoirs envers lesquels le journalisme doit rester un chien de garde. L’autorité publique n’interfère pas dans le contenu de l’information ni dans la manière dont les journalistes font leur travail. C’est le milieu professionnel qui élabore des normes à respecter et vérifie leur mise en œuvre grâce à une instance d’autorégulation.
Améliorer sans affadir
En Belgique francophone, le CDJ s’est vu attribuer deux fonctions principales : élaborer ou préciser des règles déontologiques générales et en vérifier l’application dans des cas particuliers. J’ai d’emblée veillé à y ajouter une troisième dimension : l’accompagnement et l’aide aux rédactions et journalistes jusque dans les questions ponctuelles d’ordre déontologique qu’ils peuvent se poser.
La période 2009-2017 permet d’évaluer les premiers effets de l’activité du CDJ. Le Conseil ne constitue pas un mécanisme d’auto-protection des milieux journalistiques contre les critiques. La présence en son sein de membres de la société civile, connaisseurs mais non professionnels des médias, y contribue. Il n’est pas un espace de confrontation entre journalistes et éditeurs mais un outil commun de défense de la qualité des médias. Le CDJ a fait adopter et respecter par l’ensemble des médias un engagement à publier les avis de plaintes fondées qui les concernent. En jouant sur la publicité de ses avis et sur le besoin de crédibilité des journalistes, il exerce une influence préventive sur le comportement des journalistes. Le CDJ a ainsi amélioré la qualité de l’information sans provoquer son affadissement, sans empêcher l’investigation, sans porter atteinte à la liberté de la presse et tout en protégeant les rédactions de tentatives de pressions qui auraient été facilitées en l’absence d’instance d’autorégulation.
André Linard
Secrétaire-général du CDJ de 2009 à 2016
==========
Interview de Jean Kouchner à Radio Roumanie Actualités
Le secrétaire général international de l’UPF, Jean Kouchner a accordé une interview à Radio Roumanie Actualités, pour l’émission « Accents européens », réalisée par Daniela Coman. Extraits :
Q : L’Union européenne a créé un groupe de travail, formé par des experts, pour mener une action contre les fausses infos. Y a-t-il vraiment des mesures à prendre pour réduire la diffusion des fausses infos ?
JK : Les fausses informations, ce n’est pas nouveau. EIles ont toujours été utilisées par certains groupes qui sont au pouvoir, ou d’autres qui essayent de revendiquer le pouvoir. Il y a notamment toujours eu de fausses informations sur le plan militaire ou politique. Ce qui est nouveau, c’est que via Internet, ces fausses informations se propagent extrêmement vite. Alors quels sont les moyens pour les journalistes de résoudre le problème ?
Premièrement, il faudrait éviter de devenir des relais et s’assurer qu’aucune fausse information ne passe par le biais d’un journaliste professionnel. C’est souvent compliqué, parce que les journalistes - dont le travail de base est de vérifier l’information - ont de moins en moins les moyens de le faire. Parce qu’il faut qu’ils répondent de plus en plus à un objectif commercial, et non pas uniquement d’information : être le premier, aller plus vite que les autres pour mettre un sujet sur papier, sur les ondes, sur les écrans. Or, il ne faudrait pas céder à cette pression.
Q : Le président de la France, Emmanuel Macron, a proposé récemment une loi pour contrer les fausses informations. Peut-on arrêter ce phénomène par une loi ?
JK : Cela pourrait prêter à sourire si la situation n’était pas si grave ! Le président Macron a lui-même eu à souffrir pendant sa campagne électorale de fausses infos, qui ont été répandues sur le web. Mais je ne pense pas qu’il faille mettre en place des lois ou une structure capable de trancher sur ce que doit être l’information. Légiférer sur ce plan n’est selon moi pas la bonne méthode. Et des lois existent déjà ! Il faudrait surtout donner des moyens suffisants aux médias dignes de ce nom, c’est-à-dire ceux qui emploient des journalistes professionnels, afin de vérifier toutes leurs informations. Encore une fois, je me méfie des sanctions pouvant être prises à l’encontre des journalistes dans ce cadre. Je préfère une autorégulation comme un conseil de presse, sans pouvoirs de sanctions autres qu’une sanction morale. Et pour le reste, notre arsenal juridique est déjà existant !