On votera en 2017 en France, mais aussi dans plusieurs pays de l'univers francophone, Sénégal, Algérie, Congo, Arménie, Hongrie, Serbie, Liban, pour ne citer que certains scrutins de portée nationale. Le respect des règles déontologiques dans ces périodes est de plus en plus apprécié chronomètre en main, à travers des règlementations sur le temps de parole. Les législateurs les imposent aux médias pour de bonnes raisons. Mais leur application au quotidien n'est pas toujours aisée.
Pour un journal d'opinion, pas de réel problème. Il soutient officiellement ou non un candidat ou un parti, ses lecteurs le savent, et il est normal qu'il privilégie ce candidat. Attention cependant à ne pas perdre tout sens critique : un journaliste doit savoir penser et écrire contre ses convictions quand les faits qu'il établit les contredisent. Dans ces médias "engagés", il faut aussi rendre compte de la campagne des autres candidats par souci d'informer complètement le public, et le faire sans déformer leurs propos. Les commentaires consacrés à ces adversaires du camp que soutient le journal, même les plus sévères, doivent s'appuyer sur des faits exposés honnêtement.
Les choses sont souvent plus délicates pour les rédactions des radios et télévisions. De plus en plus, les médias audiovisuels sont soumis à des règles édictées par une autorité de régulation ou une instance de supervision du processus électoral. Lorsqu’il s’agit de médias privés, la logique est la même que pour un journal. Notons cependant que l’exigence d’honnêteté est d’autant plus grande que l’audience et l’impact de ces médias de masse sont forts. La responsabilité du journaliste du service public est d’une autre nature. Celui-ci n'est pas au service de l'état et encore moins du gouvernement sortant, mais des citoyens. Cela implique que toutes les familles de pensée aient accès à ses antennes, particulièrement en période électorale.
Certaines législations imposent l'égalité du temps de parole à certaines périodes de la campagne - les 15 derniers jours avant le scrutin par exemple. Cette règle est une réelle garantie d'une information pluraliste. Mais c'est une vraie contrainte pour les rédactions : tous les candidats n'ont pas toujours des choses pertinentes à dire et il est difficile de construire un journal avec comme seul critère éditorial le chronomètre. On peut jouer sur plusieurs éditions pour assurer cet équilibre, là encore avec honnêteté : une minute dans un journal de l'après-midi ou de la nuit n'a pas la même audience qu'une minute à 7h du matin en radio ou 19H ou 20h00 en télévision. Et il faut aussi tenir compte ici du temps d’antenne, ces moments où on parle d’un candidat mais qu’on ne l’entend pas directement : par exemple un portrait, l’expression d’un soutien par un tiers, ou une comparaison entre différents programmes sur un point précis.
L'équité ne va pas sans le pluralisme.
A d'autres moments des campagnes électorales, les journalistes sont invités à faire preuve d'équité dans leur couverture. On serait tentés de dire que c'est le B.A. BA d'une information au service du public : lui donner les éléments pour qu'il se forge une opinion avant de voter sans oublier aucun de ceux qui sollicitent ses suffrages. L'équité ne va bien sûr pas sans le pluralisme. Mais force est de constater que toutes les expressions politiques n'ont pas la même importance dans le débat, qu'un propos vaut aussi par le poids passé et présent dans la vie publique de son locuteur, et que le programme d'un parti très bien implanté qui a l’ambition de gouverner aura plus de conséquences que celui d'une formation qui ne présente que quelques candidats. Ce qui n’autorise pas les médias à ignorer ces derniers : donner de l'espace aux partis minoritaires contribue au débat public. Et celui-ci se nourrit aussi - d’abord ? - d’opinions iconoclastes, qui, comme l’écrit la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans un de ses arrêts* « vont à l’encontre de celles défendues par une partie importante de l’opinion publique et par les autorités officielles voire même sont irritantes ou choquantes pour ces dernières ».
La responsabilité des journalistes est aussi de dire qui est qui : il faut ainsi identifier les "faux nez" qui dupliquent une offre politique pour prendre des voix à des adversaires avant de se rallier, et prendre pour ce qu'elles sont les candidatures d'autopromotion personnelle ou purement farfelues. Non pour les ignorer, mais pour leur donner juste la place qui correspond à leur réalité.
Dernier point à avoir présent à l'esprit dans ces périodes de campagne électorale : les sondages et les jeux politiciens et leurs commentaires ne peuvent être les seuls centres d’intérêt; il faut mettre en regard les préoccupations et les attentes des citoyens avec les propositions des candidats, privilégier les débats de fond sur les concours de petites phrases et sortir des sentiers battus, des analyses tactiques et des castings imposés. C'est à ce prix qu'une information "complète et pluraliste" peut être proposée au public dans les périodes électorales. Et que les journalistes auront une chance, aux lendemains du scrutin, d’éviter les déferlantes de critiques et les introspections douloureuses.
*affaire Dink c. Turquie 14 sept. 2010