Après la fermeture des studios de Nessma TV et l’interruption de ses émissions, le sujet de la liberté de la presse en Tunisie est remis sur le tapis. Certains ont estimé que la décision de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) est une grave atteinte à la liberté de la presse et de l’expression, seul acquis de la révolution de janvier 2011. Qu'en est-il vraiment ? Le mouvement islamiste Ennahdha a estimé, dans un communiqué rendu public la semaine dernière, que le recours à la force publique pour fermer les studios d’une chaîne de télévision est une grave décision et peut même donner une mauvaise image de la Tunisie à l’étranger. Le parti faisant tout bonnement allusion aux anciennes pratiques de la police contre les journalistes durant le régime de Ben Ali (répression, censure, licenciement, incarcération, etc). De son côté, la chaîne islamiste Zitouna, se disant elle aussi victime des mêmes sanctions imposées contre elle, en juillet 2015, a affirmé que la décision de la Haica est une atteinte à la liberté de la presse. Elle a par conséquent exprimé son soutien à la chaîne de Nabil Karoui. De telles accusations suscitent des interrogations sur la situation réelle de la liberté de la presse en Tunisie 8 ans après la révolution : A-t-on abusé de ce principe fondamental ? Comment peut-on protéger la liberté de la presse contre toutes formes de manipulation ? L’article 31 de la constitution de 2014 stipule clairement que «les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties. Aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés». Aussi, le droit à l’accès à l’information est garanti (article 32 de la constitution). Et pour garantir ce droit fondamental, une instance a été fondée en 2013 pour protéger la liberté de la presse et d’expression contre toutes formes de pratiques pouvant limiter la diffusion de l’information par les représentants du « quatrième pouvoir ». Selon le décret-loi n°2011-116 du 2 novembre 2011, la Haica a pour mission de garantir la liberté de la communication audiovisuelle et d’expression, veiller à imposer le respect des règles et des régimes régissant le secteur audiovisuel par toutes les instances, autorités, établissements et parties concernés et donner les licences d’exploitation aux chaînes et aux radios. Ce garde-fou se doit donc d’assurer sa mission et de protéger la liberté d’expression des journalistes. Contrairement à ce qu'on pourrait laisser croire, la Haica a joué ce rôle de garde-fou...à plus d'une reprise. En octobre 2017, Moncef Marzouki, secrétaire général de Harak Tounes Al-Irada, et « fervent défenseur des droits de l’homme », s’est dit consterné lorsqu’il a été empêché par des citoyens d’entrer dans les locaux de Ribat FM, à Monastir, pour prêcher sa bonne parole (sic !). Réagissant à cet incident, les dirigeants de son parti ont vivement dénoncé cette « atteinte à la liberté d’expression » et bien entendu Moncef Marzouki a choisi de recourir à la justice contre cette radio. Suite a cet incident, la Haica a convoqué le directeur de Ribat FM pour l'auditionner et obtenir des explications. Cette haute instance a également estimé dans un communiqué émis suite à cet incident que le gouvernement doit intervenir au plus vite et prendre des mesures contre toute personne qui essaie de porter atteinte a un citoyen voulant s'exprimer librement et avoir accès à l'information. Par ailleurs, en mars dernier, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis avait interdit, à la dernière minute, la diffusion d’une enquête menée par l’équipe de l’émission «Les 4 vérités», animée par le journaliste Hamza Belloumi, sur le décès des nouveau-nés au centre de maternité et de néonatologie de Tunis. D’ailleurs, l’émission « 50/50», diffusée sur Carthage + et animée par Moez Ben Gharbia, avait aussi traité le même sujet. Et bien entendu, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis a émis une décision judiciaire interdisant la diffusion de cet épisode. Consternée, la Haica a vivement dénoncé cette décision judiciaire et a mis en garde contre le retour de telles pratiques utilisées durant les années de dictature. Le récent rapport de l’Ong Reporters sans frontières (RSF) a affirmé que la Tunisie a gagné 25 places dans le classement mondial de la liberté de presse. Elle s’est ainsi positionnée à la 72e place, sachant qu’en 2013 elle était 138e. De quoi ravir les acteurs des médias même si RSF a indiqué dans son rapport que les organisations de la société civile tunisienne et les Ong internationales ont exprimé leurs inquiétudes quant aux lenteurs et aux manquements qui marquent l’élaboration du nouveau cadre légal relatif au secteur médiatique. La liberté de la presse est certes un droit garanti par la constitution mais il reste tout de même beaucoup à faire essentiellement sur le plan législatif pour éviter toute forme de manipulation sur l’opinion publique tout en laissant les journalistes faire leur travail et exposer les vérités cachées. Source : Business News
mai 27, 2019