Pour la société civile congolaise, comme internationale, cette limitation de l'accès aux réseaux sociaux est une nouvelle restriction des libertés dans un contexte de fermeture de l'espace politique observé depuis plus de deux ans. Pour le gouvernement, c'est une mesure temporaire pour maintenir l'ordre public après la diffusion d'images et de vidéos de cadavres qui ne seraient pas ceux des Congolais tués lundi lors des attaques attribuées à la secte Bundu dia Kongo.
Pour le ministre en charge des Nouvelles technologies, il s'agit d'une mesure d’urgence, une mesure conservatoire qui devrait être levée incessamment. Mais selon Emery Okundji, les comportements abusifs sur les réseaux sociaux (messages de haine, appels à la violence, photos détournées) se multiplient et cela mériterait une législation dont la RDC n'est pour le moment pas dotée.
Du côté des activistes comme des professionnels des médias numériques, on reconnaît qu'il y a bien quelques comportements qui mériteraient d'être réprimés. Mais la mesure imposée par le gouvernement est indiscriminée et punit tous les utilisateurs. Elle est donc liberticide.
L'explication du ministre ne satisfait pas des ONG comme Amnesty. Pour le chercheur Jean-Mobert Nsenga, « derrière l'argument de l'ordre public » se cache un dessein plus inavoué : celui de réduire encore l'espace démocratique dans un pays où il est devenu quasi impossible de manifester.
Pour l'Association congolaise des médias en ligne, qui a protesté contre cette mesure, on ne peut pas nier qu'il y ait une corrélation entre la fermeture de l'espace politique, la polarisation de l'espace médiatique classique (TV, radios, journaux) et l'appétit des Congolais pour les réseaux sociaux.
Des restrictions loin d'être inédites
Ce n'est pas la première fois que les réseaux sociaux sont coupés depuis le début de la contestation du maintien au pouvoir de Joseph Kabila. Toujours en période de contestation. Cela correspond à la période de multiplication des mouvements citoyens très branchés sur ces réseaux pour leur communication ; des lanceurs d'alerte, anonymes ou non, qui diffusent des documents confidentiels, vidéos et images d'exactions ; et des médias en ligne qui offrent plus de débouchés pour toutes ces informations.
La première restriction emblématique, c'était en janvier 2015, déjà autour de l'organisation des élections. Un projet de révision de la loi électorale avait provoqué des manifestations à Kinshasa d'une ampleur inattendue. Le premier jour, des images, des vidéos de la contestation envahissent les réseaux sociaux. Et dès le deuxième jour, black-out : internet, SMS coupés. En 48 heures, internet avait été rétabli vu le manque à gagner pour l'économie du pays, mais les réseaux sociaux étaient restés coupés pendant plusieurs semaines. Phénomène que l'on a revu avant la fin du deuxième et dernier mandat du président Kabila en décembre 2016. Toujours au nom de risques de troubles à l'ordre public.
Ce que professionnels et activistes constatent, c'est qu'il y a de plus en plus de lanceurs d'alertes, prêts à photographier des documents ou filmer des exactions et qui le font aussi grâce à l'anonymat tout relatif qu'offrent les réseaux sociaux. Y compris depuis les villages le plus reculés, notamment dans l'est du pays mieux connecté. Dans les manifestations de ces derniers mois, il n'y a pas que des journalistes qui ont été arrêtés avec leurs caméras, mais aussi des civils munis de téléphones portables.
L'accès à internet en forte hausse
Officiellement, 3,8% de la population congolaise a accès aux réseaux sociaux, selon des chiffres datant de juillet 2015. Ce qui représente quand même plusieurs millions de personnes, pour l'essentiel en milieu urbain. Selon un sondage très récent de l'institut Target, sur près de 1 000 personnes interrogées, 40% avaient décidé de s'équiper d'un smartphone. Il existe des modèles très peu chers à 15 ou 30 dollars. Et des forfaits internet spécifiques mis en place par les opérateurs pour attirer les petits revenus. Des forfaits exclusivement Whatsapp et Facebook, par exemple. Il y a même de nouveaux métiers qui se créent comme celui d'installer des applications comme Twitter ou même les VPN qui permettent de contourner la censure.
Car si encore trop peu de Congolais sont connectés à internet, notamment dans les campagnes, le taux de pénétration de la téléphonie mobile a été multiplié par trois ces sept dernières années pour concerner plus de la moitié de la population désormais. C'est encore surtout dans les villes, beaucoup plus à l'est qu'à l'ouest du pays, mais le marché a littéralement explosé, malgré la faiblesse des revenus par habitant. Huit Congolais sur dix vivent sous le seuil de pauvreté absolue, selon le PNUD. Mais parvenir à communiquer fait partie des priorités pour la population.
Sonia Rolley
RFI