Licencié pour avoir lancé l'alerte. Telle est l'histoire de Louis Robert, un agronome du ministère de l'Agriculture, licencié pour avoir informé les médias de l'influence de lobbys privés sur les recherches menées sur les pesticides.
Il s’appelle Louis Robert et c’est un agronome d’expérience et réputé. Il travaillait au sein du ministère de l’Agriculture du gouvernement du Québec. Il « travaillait », parce qu’il a été licencié le 24 janvier, sous prétexte d’avoir informé des médias de l’influence de lobbys privés sur les recherches menées sur les pesticides. Bref, pour avoir été ce que l’on appelle un « lanceur d’alerte ».
Lanceur d’alerte
Louis Robert a 32 ans de service au sein du ministère de l’Agriculture du Québec. C’est lui qui a averti le journaliste de Radio-Canada Thomas Gerbet, l’an dernier, des manœuvres menées par des compagnies privées pour influencer les recherches menées par le ministère sur les pesticides.
Le reportage du journaliste avait fait grand bruit mais sa source était restée anonyme. Sauf qu’une enquête a été ouverte au sein du ministère pour savoir d’où provenait la fuite. Quand l’agronome s’est retrouvé devant les enquêteurs, il a avoué être la source de ces informations. Il a alors été suspendu de ses fonctions avec salaire, le temps que l’enquête poursuivre son cours, puis il a été congédié après avoir de nouveau rencontré ses supérieurs à la mi-janvier et ne pas avoir manifesté de regrets pour avoir coulé ces informations à la presse.
Dans sa lettre de congédiement, on lui reproche un manquement à son devoir de loyauté. Deux autres de ses collègues ont aussi été suspendus sans salaires, mais pas congédiés.
Congédiement autorisé par le ministre ?
C’est nul autre que le nouveau ministre de l’Agriculture du Québec, André Lamontagne, qui aurait personnellement autorisé le licenciement de Louis Robert si l’on se fie à la déclaration qu’il a faite dans les heures qui en ont suivi l’annonce : « C’est ma décision, alors je suis très à l’aise avec ma décision ».
Une déclaration sur laquelle il est revenu quelques jours plus tard en faisant une sorte de mea culpa devant la presse. Il dit s’être mal exprimé dans le feu de l’action et a ajouté : « J’admets avoir fait une erreur en prenant sur mes épaules le poids de cette décision, qui est une décision administrative (…) Dans les faits, un ministre n’embauche et ne congédie pas de fonctionnaires. Et je ne suis intervenu d’aucune façon ».
André Lamontagne a donc demandé à la Protectrice du citoyen de mener une enquête sur ce congédiement pour vérifier s’il ne représentait pas des représailles, pour confirmer si les droits de Louis Robert avaient bien été respectés et pour valider qu’il n’est pas intervenu personnellement dans ce dossier.
Le ministre a aussi dit qu’il comprenait les inquiétudes des Québécois par rapport à cette histoire.
Une loi pour protéger les lanceurs d’alerte
Il existe pourtant au Québec, depuis mai 2017, une loi pour protéger les lanceurs d’alerte. Elle est censée les protéger de toutes mesures de représailles en autant qu’ils aient dénoncé des situations devant l’organisme qui les emploie ou auprès du Protecteur du citoyen.
Pour ce qu’il est des informations coulées à la presse, la loi prévoit la protection du lanceur si elle estime que la situation dénoncée constitue un « risque grave pour la santé ou la sécurité d’une personne ou pour l’environnement ». Le lanceur d’alerte doit cependant, auparavant, avoir livré ses informations à la police ou au Commissaire à la lutte contre la corruption.
Avant de contacter Thomas Gerbet, Louis Robert s’était adressé à ses supérieurs, qui n’avaient pas donné suite à sa démarche. La question maintenant est de savoir si les informations coulées par l’agronome auprès du journaliste rentrent dans la catégorie de « risque grave pour la santé ou la sécurité d’une personne ou pour l’environnement ».
C’est ce que croit le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec : « Il voulait dénoncer une situation répréhensible qui met à mal la santé et la sécurité alimentaire du public, a déclaré Richard Perron, président de ce syndicat. Il a voulu bien faire. (…) Il a voulu respecter son code de déontologie qui lui demande de protéger le public et d’éviter que des pesticides soient répandus pour des intérêts commerciaux, à l’encontre de la sécurité publique ».
Le congédiement de Louis Robert a aussi été dénoncé par l’Union des producteurs agricoles, l’UPA, qui dit déplorer que des agronomes d’expérience soient relevés de leurs fonctions.
Et bien sûr, de nombreux Québécois se demandent, au regard de cette histoire, à quoi sert cette loi pour protéger les lanceurs d’alerte et jusqu’à quel point elle est efficace…
Soutien important pour l’agronome
Louis Robert vient de recevoir un soutien de taille : celui de 73 000 employés de l’État québécois. Dans une lettre ouverte rédigée par une coalition de syndicats et intitulée « Quand le lanceur d’alerte devient la cible », il est écrit que « Nous, les syndicats représentant l’ensemble des travailleuses et travailleurs de la fonction publique du Québec, sommes très préoccupés par ces événements. (…) L’ingérence du ministre Lamontagne dans le processus qui a mené au congédiement de M. Louis Robert est également hautement préoccupante ».
Ces syndicats représentent autant des fonctionnaires de bureaux que des ingénieurs, avocats, enseignants, policiers, médecins, chirurgiens-dentistes, etc. Ces syndiqués s’inquiètent de l’intervention directe du pouvoir politique dans ce processus de congédiement qui doit normalement être mené par des gestionnaires. Et ils se demandent quelle valeur a la loi qui est censée protéger les lanceurs d’alerte : « Sans aucun doute, la santé et la sécurité alimentaire des Québécoises et des Québécois sont d’intérêt public. (…) Tous les problèmes ne peuvent être réglés à l’intérieur de l’administration publique au cas par cas » est-il écrit dans cette lettre.
Patate chaude pour le gouvernement Legault
Toute cette histoire jette une ombre sur le nouveau gouvernement de François Legault. Ce dernier a été porté au pouvoir en octobre dernier par les Québécois en leur promettant changement et nouveauté, et voilà qu’un de ses ministres prend cette décision qui a soulevé toute une controverse.
Le Parti Québécois et Québec solidaire, deux des partis d’opposition, réclament une enquête pour faire la lumière sur toute cette histoire et demandent également la réintégration de Louis Robert dans son poste. Le Parti libéral est plus prudent dans ses commentaires : logique, c’est lui qui était au pouvoir quand l’agronome a coulé les infos et quand le processus d’enquête a été ouvert au sein du ministère.
Louis Robert, de son côté, garde le silence pour l’instant : il a l’intention de contester son congédiement devant les tribunaux.
Source ; Radio Canada