39 journalistes tués depuis le début de l'année, un tiers de la population sans accès libre à Internet : la liberté d'expression reste bien relative.
Chaque année, Reporters sans frontières (RSF) prend le pouls de la liberté de la presse dans le monde. D'après son rapport publié fin avril dernier, les bons élèves habituels – Finlande, Norvège, Nouvelle-Zélande – ouvrent le classement, les dictatures et les pays en guerre – Corée du Nord, Érythrée, Turkménistan, Syrie – le concluent. Le muselage des médias reste donc lié en grande partie au degré de crise et de corruption politique. Toutefois, le rapport de RSF note que 2017 a été l'année la moins meurtrière depuis 14 ans. Une baisse liée à une meilleure protection des journalistes, mais également à l'exode des reporters hors des pays sensibles. « C'est le cas de la Syrie, de l'Irak, du Yémen, de la Libye, où l'on assiste à une hémorragie de la profession », déplore l'organisation.
Au Mexique, « la retraite ou le plomb »est un choix inévitable pour les journalistes qui tenteraient de couvrir les agissements des cartels. La semaine dernière, un sixième reporter était assassiné dans l'État de Tamaulipas, gangréné par la guerre des narcos et par la corruption. Le Mexique est ainsi le pays en paix le plus dangereux au monde pour les reporters. « Ce qui nous maintient en vie, c'est de faire attention à ce qu'il ne faut surtout pas dire. (…) Il faut se limiter aux faits, décrire la scène de crime et rien d'autre », estime, impuissant, le journaliste mexicain Hugo Argomedo (1).
D'autres menaces pèsent sur les reporters, notamment la censure par la détention arbitraire. À ce jour, 326 journalistes et collaborateurs sont emprisonnés dans le monde. La Chine, la Turquie, l'Iran, la Syrie et le Vietnam regroupent la plus grande concentration de reporters détenus. Fin avril, la justice turque condamnait quatorze collaborateurs de Cumhuriyet, principal quotidien d'opposition en Turquie, à des peines d'emprisonnement. Tous jugés coupables de « soutien à des organisations terroristes ».
Mardi, le journaliste ukrainien Roman Souchtchenkon, correspondant à Paris de l'agence de presse Ukrinform, écopait de douze ans de camp « à régime sévère » pour espionnage. Condamner un journaliste pour espionnage : « une tradition », selon son avocat Mark Feïguine.
En France, la situation de la liberté de la presse serait préoccupante d'après Reporters sans frontières. Si les journalistes ne jouent pas leur vie, une trop forte concentration des médias, source de conflits d'intérêts, et le « mediabashing » par les responsables politiques expliquent le score moyen de l'Hexagone qui tient la 33e place du classement 2018.
Selon le rapport annuel de Freedom House, une ONG qui étudie l'étendue de la démocratie dans le monde, la liberté d'expression sur Internet a reculé dans 32 pays, notamment en France. Ce recul n'est pas le fruit d'un combat contre la liberté d'expression mené par le gouvernement français, mais la conséquence des mesures prises à la suite des attentats, comme la loi sur le renseignement qui prévoit des outils automatisés pour analyser les contenus web. Une « censure préventive » qui annonce viser la protection de la population et non le muselage de ces internautes. « Aux utilisateurs qui ne donneraient pas leurs informations d'identification, les plateformes offrant des communautés en ligne ne pourront pas les autoriser à poster quoi que ce soit. » Depuis la fin août 2017, dans le cadre d'une politique de surveillance des internautes, l'administration du cyberespace chinois (CAC) impose de décliner son identité pour publier tout commentaire en ligne, notamment pour le réseau Weibo – le « Twitter chinois » – et l'application d'appel et de messagerie WeChat. Arrivée dernière du classement 2018, la Chine détient le plus haut score de censure, soit 87 sur 100, suivie de la Syrie et de l'Éthiopie.
Freedom House note également une hausse préoccupante de la « manipulation » des contenus web par les gouvernements. Une désinformation organisée qui aurait joué un rôle important dans les élections de 18 pays l'année dernière, notamment aux États-Unis. 30 pays auraient eu recours à des « faiseurs d'opinions » comme outils de propagande sur le Web contre 23 en 2016. Une manipulation de l'opinion publique qui s'opère selon trois axes principaux : l'usage de commentateurs privés, de trolls ou de bots, la mise en place de comptes automatisés et l'utilisation de faux sites d'information. En Turquie, plus de 6 000 personnes sont employées pour surveiller les opposants au gouvernement sur les réseaux sociaux. Le gouvernement russe utiliserait abondamment de faux sites d'information. Objectif : « inonder les réseaux sociaux avec de fausses informations, instillant le doute et la paranoïa et détruisant la possibilité d'utiliser Internet comme un espace démocratique », d'après Adrian Chen dans le New Yorker.
Enfin, de nombreux gouvernements privent leurs populations, en partie ou en totalité, d'accès à Internet pour empêcher toute opposition en ligne. Le 28 mai, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le ministre des Communications, Sam Basil, annonçait vouloir bloquer l'accès au réseau social Facebook pour au moins un mois afin d'identifier les internautes qui publieraient des « in formations fausses ou diffamatoires ». D'après Reporters sans frontières, cette stratégie viserait à réduire au silence les voix qui s'élèvent en ligne pour dénoncer la corruption du gouvernement.
(1) Reportage « Mexique : un pays au bord de l'overdose », 20 avril 2017, Special Investigation
Florise Vaubien
Le Point