La fracture médiatique est béante. Dans de nombreux pays, la confiance est disputée aux journalistes. Une partie de la population estime que les médias ne parlent pas d'elle ou la caricaturent. En France, le mouvement des gilets jaunes met en cause, et parfois violemment, leur rôle et leur indépendance. Où se situe la déontologie dans ce débat ?
La question se pose d'autant plus que beaucoup de ces critiques invoquent la déontologie du journalisme pour dénoncer ce qui ne leur plait pas. Il faut répéter ici que le choix des sujets, des angles, du mode de traitement ne relève pas de la déontologie mais de la ligne éditoriale d'un média. Si ce choix ne plait pas, rien n'oblige à lire ce journal, à écouter cette radio ou à regarder cette télévision.
Ce choix éditorial fait et assumé, informer répond à des règles qui valent pour tous les journalistes. En premier lieu bien sûr établir les faits. Vérification, recoupement, recherche du contradictoire sont la base. Restituer honnêtement ces faits ne doit pas les déformer, ne doit pas trahir ce que dit un interlocuteur dont on cite ou monte, en radio ou en télévision, les propos. « Vous coupez » est une critique récurrente des manifestants qui accusent les journalistes de manquer de déontologie. Ils exigent alors le direct ou la relecture avant publication. Ce n’est pas toujours possible et encore moins pertinent. Un discours est fait de répétitions et d’incidentes. Le reproduire in extenso risque parfois d’occulter le message essentiel. Il y a une nécessité d'expliquer au public que mettre en forme n'est pas trahir, mais valoriser.
Il faut ensuite distinguer clairement exposé des faits et commentaires, en fondant le commentaire sur des faits vérifiés. Certains théorisent cependant de garder une distance avec la réalité : n'a-t-on pas entendu un éditorialiste expliquer que "se confronter au terrain pollue l'esprit de l'éditorialiste. Son rôle est de donner son opinion, d'affirmer ses certitudes, par essence improuvables". Une des règles professionnelles est pourtant de cultiver le doute, d'accepter ce qui contredit ses présupposés, ses prévisions ou ses préférences. Elle vaut pour le reporter comme pour l’éditorialiste.
« On ne parle pas de nous », disent aussi ceux qui se révoltent. Certains chercheurs parlent de classes populaires "invisibilisées" par les médias. Alors les rédactions font leur auto critique. On fait évoluer les lignes éditoriales. Des initiatives sont prises pour aller visiter l'Amérique profonde après la victoire surprise de Donald Trump ou inviter des "gilets jaunes" à décrire leur quotidien. Encore faut il que ces nouvelles approches évitent le spectaculaire, la dramatisation, le voyeurisme. Là aussi, les codes de déontologie posent des jalons utiles.
"Les médias et les journalistes doivent mieux s'interroger sur leurs impasses" dit le rédacteur en chef du quotidien français La Croix en commentant son baromètre annuel sur la confiance des français dans l’information. Bien sûr, mais on peut s'étonner qu'il faille des événements exceptionnels pour constater l'existence d'impasses. L'éthique du journalisme ne dicte-t-elle pas de rechercher des faits qui décrivent la réalité dans toutes ses composantes, y compris les plus dérangeantes, sans a priori et dans un souci d'équité et d'impartialité ?
Pierre Ganz