Daniel Cornu, médiateur de Tamedia Publications romandes, rappelle la nécessaire rigueur que requièrent l'établissement des faits et leur validation.
C’est entendu. Au cours des quinze dernières années, le journalisme a perdu peu à peu le contrôle de plusieurs territoires où il exerçait sans partage ou presque. Les journalistes ne sont plus les seuls à raconter le monde. Ils s’effacent de plus en plus comme analystes; des experts leur disputent cet ancien privilège. Ils sont moins présents comme témoins directs des faits; ils sont supplantés par des observateurs que leur propre participation ou le hasard ont placés au bon endroit au bon moment.
Sur le web, ces évolutions tendent à placer les journalistes sur le même pied que n’importe quelles autres sources. Cela entraîne une très curieuse liberté des faits, dont l’un des avatars est le «fait alternatif» poussant sur les plates-bandes de la «postvérité».
«Établir les faits, les valider lorsqu’ils sont avancés par d’autres, les mettre au jour lorsqu’un intérêt public le commande»
Des faits, et non des opinions. La liberté d’opinion a toujours existé. Elle a connu des périodes de plein épanouissement, d’autres de triste rabougrissement. Mais elle n’a jamais été discutable comme telle en démocratie. Elle fleurit à tout va sur les réseaux de la communication numérique, et c’est très bien ainsi. Chacun peut prétendre à la liberté de s’exprimer. Mais la référence aux faits devrait rester le point d’ancrage obligé de tout débat. Elle ne l’est plus de manière irréfutable.
En découle l’actuelle, et peut-être ultime, justification du journalisme: établir les faits, les valider lorsqu’ils sont avancés par d’autres, les mettre au jour lorsqu’un intérêt public le commande. Les premiers temps de l’internet ont suscité un enthousiasme compréhensible autour du slogan «tous journalistes».
C’était oublier l’ascétique et laborieuse constitution des faits. C’était oublier l’enquête. Lorsqu’elle porte sur un sujet d’une certaine ampleur ou d’une certaine complexité, une enquête ne requiert pas seulement de la curiosité et de l’envie, dont les journalistes professionnels n’ont certes pas l’exclusivité. Elle requiert aussi de la rigueur, du temps et des moyens.
Une enquête remarquable et remarquée
Publiée en juillet dernier par «24 heures», la remarquable et remarquée enquête de Pascale Burnier sur la filière des filets de perches venus de l’Est en est la meilleure illustration.
De plus, l’enquête journalistique suppose ce que l’on pourrait appeler «une force d’autorité». Pour le dire autrement, une légitimité capable de décourager des interlocuteurs, éventuellement hostiles ou simplement réticents, de s’abriter derrière le silence, la dénégation hautaine ou la réponse dilatoire. Soit du fait d’une réputation établie – ainsi celle de Pierre Péan, journaliste français disparu cet été. Soit par l’appartenance de l’enquêteur à un média reconnu.
Malgré les vertus du web, l’enquête n’est pas à la portée de chaque internaute. Jusqu’à preuve du contraire, elle reste un terrain de résistance et de légitimation du journalisme.
Source : 24 heures