Un imbroglio financier et juridique place l’AFP dans une impasse. A Alger, son chef de bureau a été expulsé et son accréditation non renouvelée pour 2019.
L’Agence France-Presse contrainte de quitter Alger ? Un mois et demi après l’expulsion, le 9 avril, par les autorités algériennes, du directeur de l’agence à Alger, Aymeric Vincenot, qui s’est vu refuser le renouvellement de son accréditation pour 2019, la présence même d’un bureau de l’agence française dans la capitale algérienne pourrait être compromise, selon une source de l’agence.
Victime de blocages administratifs et bancaires, l’AFP, asphyxiée, pourrait être contrainte de mettre la clé sous la porte à très court terme. « Nous avons le sentiment que le gouvernement algérien fait tout pour que l’on ferme la boutique. Nous sommes dans un cauchemar administratif », souligne-t-on.
Réalisant la moitié de son chiffre d’affaires commercial hors de France, l’AFP est implantée dans environ 150 pays avec plus de 200 bureaux. Elle est reprise par les radios, les télévisions, la presse écrite ou les sites Internet, mais aussi par les grandes entreprises et les administrations, et assure depuis 1944 une couverture de l’actualité mondiale dans six langues.
Pour fonctionner, le bureau algérois dispose d’un compte dans une banque publique, la Banque de l’agriculture et du développement rural (BADR), alimenté en dinars algériens. Ce compte, qui reçoit des versements de Paris, sert à couvrir toutes les dépenses courantes de l’AFP en Algérie. Ce qui couvre les salaires de ses journalistes, les piges des collaborateurs occasionnels, mais aussi le paiement des impôts, des cotisations sociales ou encore des fournisseurs.
Des conséquences catastrophiques
Seul l’ancien directeur du bureau, Aymeric Vincenot, contraint début avril à quitter le pays, possédait une délégation de signature permettant de faire fonctionner ce compte. Or, depuis, « la BADR refuse d’honorer les chèques et virements au motif d’une “décision judiciaire”. Tout est rejeté », souligne-t-on à Paris. Mais ladite « décision » n’aurait jamais été communiquée à l’AFP. « La banque considère que nous sommes sous le coup d’une décision judiciaire que l’on ne connaît pas… »
Une décision « judiciaire » démentie par une source proche de la banque en question, qui assure que le compte ne peut avoir pour mandataire qu’une personne résidant sur le territoire algérien, ce qui, de fait, n’est plus le cas de M. Vincennot. Il appartiendrait donc à l’AFP de nommer quelqu’un d’autre.
La situation de blocage se cristalliserait donc autour de la personne de l’ancien directeur du bureau. L’AFP ayant assuré après son expulsion en avril, par la voix de son PDG, Fabrice Fries, qu’« il n’[était] pas question pour nous, dans ces conditions, de nommer dans l’immédiat un nouveau directeur à Alger ». L’imbroglio est total.
Quoi qu’il en soit, les conséquences pratiques sont d’ores et déjà catastrophiques. « Salaires et piges n’ont pu être payés en avril et le fournisseur Internet menace de couper la ligne. On ne peut pas payer nos impôts et, de ce fait, on risque de se voir imposer des pénalités. A cela s’ajoute un juridisme variable selon les intérêts du moment et des procédures bureaucratiques très lourdes », explique un membre de l’agence. Sur le terrain, les journalistes de l’AFP continuent, eux, de travailler normalement et de couvrir, notamment, les manifestations, mais sans être payés…
Divers griefs faits oralement
Les autorités algériennes n’ont jamais notifié officiellement à la direction de l’agence les raisons qui les ont conduites à ne pas renouveler l’accréditation d’Aymeric Vincennot. En mars, elles avaient simplement fait état oralement, lors de la visite à Alger d’un responsable de la direction parisienne, de divers griefs, portant notamment sur la couverture de l’actualité algérienne et de l’état de santé de M. Bouteflika par le chef du bureau de l’AFP, sans toutefois apporter la moindre preuve d’une faute de sa part. « Il n’y a jamais eu de référence à des faits précis, plutôt un halo de couverture jugée biaisée par les autorités algériennes sur la durée », explique-t-on en interne.
Dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), l’Algérie occupe la 141e place sur 180 pays, contre la 136e en 2018. Fin mars, un envoyé spécial de l’agence Reuters, le journaliste tunisien Tarek Amara avait aussi été expulsé d’Algérie, où il couvrait depuis plusieurs jours les manifestations.
Sur le terrain toujours, plusieurs médias et journalistes algériens dénoncent « des pratiques déplorables des forces de l’ordre qui entravent l’accomplissement de leur mission » lors des manifestations et ont appelé à un rassemblement le 25 mai à Alger. Le média Tout sur l’Algérie (TSA) rapporte aussi plusieurs agressions commises par les forces de l’ordre lors des deux dernières marches d’étudiants à Alger les 19 et 21 mai. Un journaliste du groupe Ennahar, Abdeldjebar Benyahia, a ainsi été victime d’une fracture au niveau de la jambe.
Source : Le Monde