« Rana sahafiyine, Barakat chiyatine», «Non à la censure», «Mon métier est d’informer et non de désinformer», «Je suis journaliste, fils du peuple, je transmets la voix du peuple» : tels sont les slogans scandés par les journalistes, lors des nombreux sit-in observés cette semaine pour dénoncer la censure et le traitement partial des événements historiques du 22 février 2019.
Alger, Constantine, Oran, Mascara, Tizi Ouzou… autant de villes où les professionnels de la presse, journalistes et techniciens, ont observé des sit-in dénonçant la censure. Vendredi dernier, alors que l’Algérie vivait un moment historique, la majorité des médias ont préféré orienter leurs objectifs ailleurs. Un défilé de reportages et d’émissions, vus et revus, ont été diffusés, occultant complètement les marches pacifiques tenues aux quatre coins du pays.
Sur les réseaux sociaux, c’est l’indignation. Ne comprenant pas ce choix éditorial, des citoyens lancent un appel au boycott, qualifiant les journalistes de « vendus ». Le soir même, des actes de rébellion sont constatés. Le premier : le présentateur du JT de minuit d’une chaîne de télé privée a fait le choix de ne pas lire le prompteur et de livrer les faits tels qu’ils se sont déroulés. « Aujourd’hui, je dormirai en paix, la conscience tranquille. Je suis fier de moi et je suis prêt à assumer toutes les conséquences », a-t-il posté sur son mur Facebook. Pour sa part, la journaliste de la Chaîne 3, Nahla Bekralas, a avoué sur son profil Facebook être « déçue » par le service public qui « a manqué à sa mission principale », à son devoir d’informer : «Je suis journaliste au sein de cette entreprise, mon devoir est d’informer les Algériens sur ce qui se passe sans afficher mes positions politiques.
« Oui à la liberté d’expression »
Pour ou contre le 5e mandat, là n’est pas la question pour un journaliste, qui se doit de rester impartial, peu importent les événements. » Le lendemain, samedi 23 février, Meriem Abdou de la Chaîne 3 a démissionné de son poste de rédactrice en chef, pour dénoncer la censure et protester contre le traitement partial par cette radio des manifestations de la veille contre le 5e mandat, en publiant sur son compte Facebook : «Mon collègue Kamel Mansari a posté aujourd’hui ceci : « Quand on se dit journaliste, responsable d’une rédaction, le principe de base est de donner l’info, au moment où elle se déroule, telle qu’elle se déroule, avec rigueur et objectivité. Et quand on n’a pas les moyens, on fait de son mieux mais certainement pas faire l’impasse sur un événement aussi visible et flagrant que les marches du 22 février… » Et c’est pour ce fait que j’ai décidé, moi Meriem Abdou, de déposer dès demain ma démission de mon poste de rédactrice en chef, membre de l’encadrement de la Chaîne 3, et de me consacrer uniquement à mon émission ‘L’histoire en marche’. Je refuse catégoriquement de cautionner un comportement qui foule aux pieds les règles les plus élémentaires de notre noble métier. » Aussitôt prise, la décision de Meriem Abdou a été saluée par les Facebookers, la jugeant d’acte de dignité, d’intégrité et de courage. La journaliste n’a pas eu à attendre longtemps pour subir les conséquences de sa décision : son émission a été arrêtée. De son côté, le journaliste de la chaîne privée Echourouk TV, Ryad Benamor, a lui aussi décidé de crier « oui à la liberté d’expression ».
Rébellion
C’est dans une vidéo de 44 secondes, intitulée «Kounek Idjabi» (sois positif, ndlr), publiée sur les réseaux sociaux, que le journaliste a choisi de se révolter. La séquence montre une mise en scène de Ryad Benamor, la bouche «muselée» à l’aide d’un scotch, sur le toit d’un immeuble, scandant : «La chose qui fait le plus mal au cœur d’une personne, c’est de ne pas pouvoir aider son frère lorsqu’il a besoin d’elle… Le chose qui déchire plus le cœur d’une personne, c’est quand elle se retrouve les mains liées et qu’on ne la laisse pas aider son frère lorsqu’il a besoin d’elle…. Je suis Algérien. Algérie, ton mal est mien, ton sang est mien…
Il est de mon devoir de faire entendre ta voix… notre voix, pas seulement la tienne. Non à la répression des journalistes, oui à la liberté d’expression.» Mardi, c’était au tour des journalistes et techniciens de la radio de se «rebeller». Un vent de contestation a soufflé au siège de la Radio à Alger, de Radio Soummam à Béjaïa ou encore à la radio locale de Tizi Ouzou qui a notamment choisi de donner la parole aux étudiants manifestant ce jour-là contre le 5e mandat, afin d’exprimer librement leur opinion. Ce jour-là, la télévision publique avait décidé de couvrir la marche des étudiants à sa façon : le présentateur du JT s’est limité à mentionner que les étudiants ont marché de manière pacifique pour revendiquer des réformes, oubliant de mentionner leur vraie et principale revendication : non au 5e mandat.
D’ailleurs, mercredi, les journalistes et techniciens du même établissement ont également manifesté en signe de solidarité avec leur collègue Sid Ali Hadadou, journaliste au service de production de l’établissement national, qui a été sanctionné par sa direction pour avoir affiché son opposition au 5e mandat sur sa page Facebook. La vague de protestation de cette semaine est gravement similaire à celle d’Octobre 1988, où les journalistes des médias du parti unique avaient décidé d’informer l’opinion publique nationale et internationale de la censure dont ils faisaient l’objet et qu’ils ont été toujours interdits d’informer objectivement des faits et événements qu’à connu le pays, notamment depuis l’explosion populaire du 5 Octobre.
Source : El Watan
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Des journalistes arrêtés lors d'un sit-in puis libérés
Des journalistes algériens, dont une correspondante de RFI, participaient à un rassemblement contre la censure du régime de Bouteflika lorsqu'ils ont été arrêtés par la police.
Ils sont libres. Tous les journalistes arrêtés jeudi 28 février à Alger lors d'un sit-in contre la censure du régime ont été libérés. Une dizaine de journalistes algériens, sur une centaine présente pour dénoncer les pressions et les censures dont ont fait l'objet les médias algériens ces dernières semaines, avaient été arrêtés.
Parmi eux, Leïla Beratto, correspondante pour la radio française RFI, comme l'a confirmé la station auprès de L'Express. Dans l'après-midi, RFI informait sur son compte Twitter que la journaliste avait été relâchée.
La révolte gronde en Algérie depuis plusieurs semaines. Alors qu'Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, se présente pour la cinquième fois consécutive à la présidence de la République algérienne, malgré un état de santé dégradé, les Algériens étaient des dizaines de milliers à manifester le 22 février dernier. Pourtant, les médias publics, propriétés de l'État, n'en ont pas ou peu fait mention dans leurs colonnes ou journaux télévisés. De quoi provoquer la colère de nombreux journalistes, souhaitant se réapproprier leur métier.
"Non à la censure !"
"Libérez nos collègues", ont ainsi scandé les manifestants présents, pendant que les journalistes tambourinaient contre les parois des fourgons de police dans lesquels ils ont été enfermés et qui ont ensuite quitté la place. "Non à la censure !", "4e pouvoir, pas une presse aux ordres", ont encore clamé les manifestants, aussi nombreux que les policiers qui les encerclaient.
Après la démission d'une journaliste de la chaîne 3, de la Radio nationale, ainsi qu'une dénonciation de ses confrères du verrouillage des médias en Algérie, les télévisions publiques avaient pu finalement évoquer les manifestations d'étudiants de la journée contre la candidature du président Bouteflika, organisée mercredi 27 février.
La chaîne francophone de la télévision nationale a notamment diffusé des images en milieu de journal du soir, sans que le commentaire évoque le refus du 5e mandat parmi les revendications.
Source : L'Express