Opinion | La francophonie, un instrument méconnu de la relance économique post-Covid

juil 23, 2021

Alors que les contours d’une quatrième vague se concrétisent, la relance de l’épidémie ne doit pas occulter celle de l’économie. À cette fin, la francophonie constitue un levier de rebond essentiel qui doit être soutenu en tant que tel. (Par Michel Innocent Peya, écrivain et chercheur)

"L’été de mobilisation pour la vaccination sera aussi un été de relance." Le président Emmanuel Macron, dans sa dernière adresse aux Français, est formel. La résurgence de la Covid-19, à la faveur de la diffusion du variant Delta, ne doit pas obérer les objectifs de relance économique nationale et internationale. Tous les leviers de l’action publique, quels qu’ils soient, sont appelés à converger vers cet impératif.

L’enjeu de la reprise, à l’échelle du monde, est immense. Pour cause, le bilan tant humain qu’économique de la crise ne cesse de s’alourdir. Six à huit millions d’individus auraient succombé à la Covid-19 ou à ses effets collatéraux, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et si la Banque mondiale estime à 5,6 % la croissance du PIB global en 2021, "cette reprise est toujours inégale et tient en grande partie au redressement vigoureux de quelques grandes économies", explique Makhtar Diop, directeur général de la Société financière internationale.

Vers une ambition économique assumée pour la francophonie

Dans ce contexte, tous les instruments de soutien et autres véhicules de financement pertinents sont bienvenus pour resituer la marche du monde sur le chemin de la prospérité. La francophonie en est un et doit s’affirmer comme tel. C’est en tout cas le vœu que formule Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Sans que ce soit la vocation originelle de cette instance multilatérale, sa secrétaire générale lui assigne un rôle économique important à deux niveaux : le renforcement des échanges entre les opérateurs situés au sein de l’espace francophone et la promotion de coopérations sur le terrain.

Tel est ce qui a été énoncé lors de la Conversation francophone, un temps de dialogue organisé par l’OIF, le 29 juin dernier. Le thème retenu pour l’événement, à savoir "La francophonie au service du développement économique", est en tout point révélateur. Une nouvelle stratégie économique 2020-2025 a d’ailleurs été adoptée par les États membres de l’OIF, en novembre de l’année passée, pour succéder à un premier document-cadre endossé lors du sommet de Dakar de 2014.

Des programmes de coopération pour atténuer les effets de la crise

Cette orientation est saine et il convient de l’encourager. En effet, la francophonie a prouvé sa capacité à jouer un rôle dans l’atténuation des impacts socioéconomiques de la pandémie. Outre la conception d’une plateforme permettant aux innovateurs francophones de partager leurs solutions aux préoccupations liées à la Covid-19, trois programmes de coopération peuvent être soulignés.

Le premier porte sur les missions commerciales destinées, en période de crise, à faciliter les relations d’affaires entre entrepreneurs issus des cinq continents. Une mission de ce type est ainsi prévue en octobre en Asie du Sud-Est, au Vietnam et au Cambodge. Le second dispositif est baptisé "Les Pionnières". Son but est d’aider les entreprises francophones en croissance à surmonter l’obstacle du financement et à lever des fonds. Le troisième, "D-Clic", vise à former les jeunes aux métiers du numérique, afin de leur ouvrir de nouvelles opportunités professionnelles.

Dépassement de fonction contestable ou pertinent ?

Cette intervention de la francophonie dans le champ de l’économie relève, au choix des analystes, d’un dépassement de fonction soit contestable, soit pertinent. Au moins deux éléments suggèrent qu’il s’agit d’une direction louable. D’une part, la réalité économique est intimement liée à l’une des aspirations que s’est fixées l’OIF dans l’article premier de sa charte de 2005 : la solidarité. Ne pas investir le domaine de l’économie, ce serait se priver d’une capacité à agir contre les inégalités que creuse la pandémie. La cassure Nord-Sud paraît plus que jamais béante, en termes d’accès aux vaccins, aux nouvelles technologies et aux ressources éducatives.

D’autre part, le choc de l’épidémie a révélé la vitalité des sous-ensembles, qu’ils soient régionaux ou communautaires (à l'instar de l'Union européenne). Alors que les frontières se sont fermées les unes après les autres, les États ont dû restreindre leurs échanges à des partenaires proches géographiquement ou avec lesquels ils partagent des normes et des valeurs en commun. Le multilatéralisme a besoin d’être rénové, et la francophonie fait office de cadre propice au développement de voies alternatives de collaboration. En effet, le plurilinguisme représente pour les entreprises un coût de transaction comparable à une taxe de 7 %, d’après un rapport sénatorial de 2017. Dès lors, un sous-ensemble économique fondé sur une langue unique prend tout son sens.

Un moteur de croissance non intégré à la relance française

Pour autant, la francophonie n’apparaît pas dans les radars du plan de relance français. Celle-ci n’est évoquée ni dans le discours du Premier ministre Jean Castex lors de la présentation officielle des mesures engagées, ni dans le document complet consacré à "France Relance". La problématique est ancienne. En 2014, déjà, Jacques Attali relève que "le potentiel économique de la francophonie est énorme et insuffisamment exploité par la France". Tout en rappelant que l’appartenance à l’espace francophone se traduit, en moyenne, par une augmentation du PIB par habitant de 6 % dans les pays concernés.

Ce n’est pas dire que le gouvernement se désintéresse de la place et du rôle de la langue française dans le monde. Au contraire, le président Emmanuel Macron a dévoilé en mars 2018 une stratégie volontariste en matière de francophonie. Une Cité internationale de la langue française devrait même voir le jour en 2022 dans l’enceinte du château de Villers-Cotterêts. Mais plus qu’un outil d’influence ou de soft power au service d’une seule nation, la langue française doit s’affirmer comme le socle de relations économiques nourries entre les 88 États et gouvernements membres de l’OIF. La nécessité de la relance offre une occasion unique de mettre en œuvre cette dimension encore si peu explorée de la francophonie.

Michel Innocent Peya est écrivain et chercheur.