Entre abus de marché et liberté d'informer, les journalistes financiers sur la ligne de crête
La décision de la cour d'appel sur l'affaire du faux communiqué Vinci relayé par Bloomberg, et les conclusions de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans une autre affaire, vont dans le même sens : le journaliste est soumis aux règles relatives aux abus de marché.
Concilier liberté de la presse financière et répression des abus de marché (divulgation d'informations privilégiées ou de fausses informations) pourrait se révéler de plus en plus difficile.
Coup sur coup, jeudi dernier, une décision de la cour d'appel de Paris, et des conclusions de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) se sont accordées sur le point suivant : les journalistes, dans l'exercice de leur métier (informer) doivent veiller à ne pas perturber le fonctionnement des marchés.
Le journaliste en « fabricant d'informations privilégiées »
Déjà en octobre 2018, quand la Commission des sanctions de l'AMF avait condamné un journaliste anglais à payer une amende de 40.000 euros pour avoir relayé des rumeurs de marché, relatives à des offres publiques d'achat sur Hermès et Maurel & Prom, sa décision avait surpris.
D'abord, parce que le Collège de l'AMF (équivalent du procureur) n'avait requis aucune sanction pécuniaire contre lui. Ensuite, parce que le juge avait ouvert une brèche : l'information privilégiée que le journaliste n'aurait pas dû transmettre concernait la date de publication d'un article , et non pas les rumeurs en elles-mêmes. « L'AMF a transformé le journaliste en fabricant d'informations privilégiées », s'était alors exclamé un avocat.
Le journaliste a formé un recours devant la cour d'appel de Paris en 2019, qui a demandé à la CJUE de lui répondre sur ces points : l'information sur la publication prochaine d'un article relayant une rumeur de marché peut-elle constituer une information privilégiée et déclencher les mécanismes de la réglementation sur les opérations d'initiés ? Ou bien faut-il considérer que cette communication a lieu à des fins journalistiques et que cela constitue une exception à l'interdiction de divulguer des informations privilégiées ?
Journalistes muselés
La Cour ne s'est pas encore prononcée mais son avocat général, si. Juliane Kokott, célèbre pour avoir rendu des conclusions dans des affaires sensibles comme le port du voile au travail ou la fiscalité des entreprises, a, elle, considéré « [qu'il] convient de mettre en balance […] les exigences en matière de liberté de la presse […] et les risques imminents que la divulgation fait courir à l'intégrité des marchés ». Si la Cour suit son avis, les journalistes risquent de se trouver muselés.
Cette question inquiète d'autant plus que la cour d'appel de Paris a rendu, jeudi, une décision sur Bloomberg, condamnée fin 2019 par le juge de l'AMF pour avoir relayé la teneur d'un faux communiqué de presse relatif à Vinci. Même si elle a réduit le montant de l'amende de 5 à 3 millions d'euros , la cour a estimé que « les journalistes sont soumis aux règles relatives à la prévention des abus de marché ».
Les Echos