Les médias libanais à la traîne en matière de renforcement de la paix civile

mar 01, 2019

L’étude a été menée auprès des chaînes télévisées, radios, quotidiens et sites web majeurs du pays.

Où en sont les médias libanais de la préservation de la paix civile ou de la prévention du racisme et des discours haineux ? Un rapport rendu public par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et intitulé « Identifier les lacunes au niveau des compétences et du savoir dans les médias libanais », montre que le secteur des médias au Liban est souvent en porte-à-faux par rapport au respect de l’éthique journalistique. Le rapport prend également en compte la conformité, ou non, des organismes de presse au pacte d’honneur journalistique pour le renforcement de la paix civile conclu à Beyrouth en 2013, en présence de 21 rédacteurs en chef et qui comporte 18 points régissant l’éthique du travail journalistique.
Le rapport, qui est le fruit de quatre années de travail, a été dévoilé hier lors d’une conférence à l’hôtel Gefinor à Beyrouth, en présence de la conseillère pour les médias francophones du ministre sortant de l’Information, Elissar Naddaf, et de la directrice du PNUD au Liban, Céline Moyroud. Les résultats de l’enquête ont été présentés par Mahmoud Tarabay, enseignant universitaire et spécialiste dans le domaine des médias.
Ces résultats sont basés sur l’étude de la représentation des Palestiniens et des Syriens dans la presse libanaise, les cas d’incitation au confessionnalisme, les discours de haine relevés dans les médias et leur impact sur la paix civile, les initiatives positives de la presse, la représentation de la violence dans les médias, les talk-shows, la couverture des élections municipales de 2016, le droit d’accès à l’information, le discours religieux dans les médias et son impact sur la paix civile, les « introductions » aux journaux télévisés ainsi que les médias dits religieux.

Sessions de sensibilisation

L’étude a été menée d’après l’observation du travail des chaînes télévisées LBCI, OTV, MTV, Future TV, al-Jadeed, al-Manar et Télé Liban. Les journaux L’Orient-Le Jour, Daily Star, an-Nahar, as-Safir (fermé fin 2016), al-Akhbar, al-Mustaqbal, al-Balad (fermé en 2018), al-Joumhouriya, ad-Diyar, al-Liwa et ach-Chark sont également inclus. Concernant les radios, le rapport s’est penché sur les cas de la Voix du Liban (93.3 et 100.5), Sawt ech-chaab, Radio-Orient, Sawt el-mada, Radio al-Nour et Radio Liban libre. En matière de pure players, il a étudié l’Agence nationale d’information (ANI), al-Modon, al-Nachra, Lebanon Files et Now. Plusieurs chaînes, magazines ou radios à caractère religieux, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, ont également été inclus dans le rapport.
Le document dénonce une propension des médias à utiliser, lorsqu’ils parlent des réfugiés, certaines terminologies comme « le déferlement illégal », « les problèmes d’accueil dans les pays hôtes » qui montrent que l’autre est décrit par sa différence, ainsi que par son supposé caractère déviant et menaçant. L’étude déplore le fait que la plupart des médias se penchent le plus souvent sur les informations négatives, au lieu de parler des initiatives positives, ainsi que le manque de compétences quand il s’agit de manipuler les discours confessionnels. Le manque d’objectivité dans les talk-shows, les informations biaisées ou le langage corporel des présentateurs des journaux télévisés, notamment lors des fameuses « introductions » aux JT, ont également été décriés.
De nombreuses recommandations ont été formulées à cet égard, comme le besoin de soumettre les journalistes à des sessions de formation concernant l’usage et la diversification des sources, surtout avant de diffuser des informations qui pourraient attiser les tensions confessionnelles. Le rapport appelle également à organiser des sessions de sensibilisation des journalistes aux questions du racisme et sur la situation des réfugiés au Liban, et à former les professionnels des médias qui couvrent les élections ou qui travaillent dans les médias à caractère religieux.

Refonte des cursus et argent politique

Un débat a suivi la présentation du rapport du PNUD, qui a porté sur les expériences de plusieurs professionnels du secteur des médias. Jad Melki, enseignant et directeur des études journalistiques à la Lebanese American University (LAU) à Beyrouth, a appelé à une refonte des cursus de journalisme pour assurer une meilleure formation au métier et pallier aux lacunes que l’on retrouve aujourd’hui dans le travail médiatique.
Hanaa Jabbour, directrice marketing à L’Orient-Le Jour, a pour sa part mis l’accent sur les investissements réalisés dans les technologies pour répondre au mieux aux attentes du lecteur qu'il soit au Liban ou à l'étranger. Elle a également évoqué les initiatives constructives du quotidien, notamment en ce qui concerne l’apport de la culture au lecteur. Parmi ces initiatives, Génération Orient, qui permet aux jeunes artistes de se faire connaître du grand public, ou encore le concours du Village préféré des Libanais, qui promeut le tourisme rural dans le pays. Mme Jabbour a par ailleurs insisté sur le fait que L’OLJ se base uniquement sur les recettes des ventes et de la publicité, ce qui garantit son indépendance au niveau du contenu.
Rebondissant sur ce point-là, Ayman Mhanna, directeur exécutif du centre SKEyes pour la liberté de la presse et de la culture, a reproché à certains médias leur refus délibéré de pallier aux lacunes d’éthique journalistique en raison de leur financement par des personnalités politiques. Il a également dénoncé le peu d’intérêt des médias arabophones du pays pour les études ou formations concernant le secteur, contrairement aux journalistes étrangers, aux journalistes libanais de la presse non arabophone et à la presse en ligne.
Au niveau de la radio publique Radio Liban, Nada Koutelly, directrice des programmes, a indiqué que la station essaye de rapprocher les gens les uns des autres et évite pour ce faire les discours de haine tout en travaillant avec des intervenants connus pour leur professionnalisme.
Se basant sur sa propre expérience dans le domaine, Jad Ghosn, journaliste à la chaîne al-Jadeed, a dénoncé le fait qu’il faille se rapprocher de certains politiciens pour obtenir des informations et que le journalisme d’investigation ne soit pas assez encouragé au Liban.
Dalia Mokdad, directrice des relations médias de la fondation Adyane pour la défense de la diversité a quant à elle relevé l’emploi, dans les médias, d’une terminologie « négative » qui consacre le confessionnalisme, comme « le duopole chiite » ou « la rencontre sunnite ».

Zeina ANTONIOS
L’Orient Le Jour